Le spectre de l’attentat du Caire plane sur les attentats de Paris

Lundi 22 février est la date anniversaire de la mort de Cécile Vannier, cette lycéenne française tuée dans un attentat au Caire en 2009. A cette occasion, les familles des victimes (24 personnes avaient également été blessées, dont 17 Français) ont tenu une conférence de presse. Leur but : interpeller les services français d’enquête sur les correspondances entre ce dossier, un projet d’attaque visant le Bataclan, en 2009, et la tuerie du 13 novembre 2015 à Paris. Elles demandant à ce que l’enquête sur Le Caire soit reconsidérée à la lumière des investigations sur les attentats du 13 novembre 2015, car, selon leur avocat, Me Olivier Morice, « des liens existent ».

La nébuleuse djihadiste est un monde endogène, organisé autour de quelques fratries, d’anciens réseaux et de vieilles amitiés. L’enquête sur les attentats du 13 novembre est en train d’en dévoiler les relations souterraines. Entre l’attentat du Caire – qui coûta la vie à une lycéenne française, Cécile Vannier, le 22 février 2009 – un projet d’attaque visant le Bataclan, cette même année, la fusillade avortée contre une église de Villejuif, en mars 2015, et la tuerie du 13 novembre 2015 à Paris, plusieurs noms ont ressurgi ces derniers mois des angles morts de la justice antiterroriste : Jean-Michel et Fabien Clain, Farouk Ben Abbes, la fratrie Dahmani ou encore les frères Benladghem.

La résurgence de ces figures djihadistes – peu connues du grand public et rarement condamnées – dévoile les connexions intimes d’une menace que les services de renseignement peinent à appréhender. Elle a conduit trois avocats de victimes du 13 novembre à demander le versement à l’enquête de tous les dossiers dans lesquels ils apparaissaient, que Le Monde a pu consulter.

Le 14 décembre puis le 25 janvier, Me Olivier Morice, qui représente également la famille de Cécile Vannier, a demandé au juge Christophe Tessier que soit versée au dossier du 13 novembre l’intégralité de la procédure de l’attentat du Caire. Début février, le magistrat, répondant à une requête de Me Georges Holleaux, y a ajouté l’enquête sur le projet d’attentat de 2009 visant le Bataclan.

Le 11 février, Me Samia Maktouf a demandé le versement de deux nouveaux dossiers : ceux de Villejuif et d’« Artigat II », une filière de départs en Syrie impliquant des proches de Fabien Clain et du clan Merah. L’enquête sur les attentats qui ont endeuillé Paris et Saint-Denis est en passe de devenir le réceptacle d’un morceau d’histoire du djihadisme franco-belge. Un méta dossier hanté par un lieu, le Bataclan, et un personnage, Fabien Clain.

Des dossiers connectés

Condamné en 2009 à cinq ans de prison pour avoir animé la filière irakienne dite d’Artigat, qui puisait ses recrues à Toulouse et en Belgique, ce redoutable prédicateur a été entendu en 2010 comme témoin dans l’enquête sur le projet d’attentat visant le Bataclan. Impliqué dans le projet terroriste de Sid Ahmed Ghlam à Villejuif, il est par ailleurs l’auteur de la vidéo de revendication des attentats du 13 novembre.

Son vieil ami Farouk ben Abbes, un Belge de 39 ans, a lui été impliqué dans de nombreux dossiers terroristes : mis en cause dans la filière d’Artigat, il a été interpellé après l’attentat du Caire et mis en examen en 2010 dans le cadre du projet d’attaque visant le Bataclan. Un de leurs proches, Farid Benladghem, un Français de 32 ans, a été entendu comme témoin dans ces deux dossiers. Selon les informations du Monde, Farid Benladghem a par ailleurs été l’époux religieux d’Emilie L., la dernière petite amie de Sid Ahmed Ghlam, auteur de l’attentat avorté de Villejuif en 2015. Son frère aîné, Hakim, a lui été tué par la police belge en mars 2013, tandis qu’il s’apprêtait à commettre une attaque d’envergure en Belgique.

Les cercles djihadistes se nourrissent parfois de liens familiaux. Une autre fratrie, celle des frères Dahmani, établit une passerelle directe entre l’attentat du Caire et ceux de Paris. L’aîné, Mohamed, a été entendu comme témoin dans l’enquête sur l’attentat qui coûta la vie à Cécile Vannier en 2009. Son petit frère Ahmed, 26 ans, est un ami intime de Salah Abdeslam, un membre des commandos qui attaquera Paris six ans plus tard. Trois mois avant le 13 novembre, Salah Abdeslam et Ahmed Dahmani avaient été contrôlés, le 4 août 2015, à bord d’un bateau voguant entre la Grèce et l’Italie. Ahmed Dahmani sera ensuite interpellé en Turquie, quatre jours après les attaques, tandis qu’il s’apprêtait à rejoindre les rangs de l’Etat islamique.

L’attentat du Caire

C’est dans le cadre de la filière d’Artigat que s’enracine cette petite histoire du djihadisme franco-belge. Au milieu des années 2000, Fabien Clain fait la connaissance à Bruxelles de Farouk Ben Abbes et de Farid Benladghem. Les trois hommes se retrouvent au Caire en 2007 au sein d’une petite communauté de djihadistes francophones. A l’occasion d’un dîner dans un restaurant cairote, Farouk Ben Abbes et Farid Benladghem annoncent aux frères Clain leur décision de rejoindre la bande de Gaza. Ils partent en février 2008.

Après plus d’un an passé dans les rangs de « l’Armée de l’islam », un groupe terroriste palestinien proche d’Al Qaida, Farouk Ben Abbes est interpellé à son retour en Egypte, le 3 avril 2009. Les services de sécurité égyptiens le soupçonnent, avec une autre française, Dude Hoxha, d’être impliqué dans l’attentat qui a visé un mois et demi plus tôt une classe de lycéens français en visite d’agrément au Caire. Mohamed Dahmani, intime de Dude Hoxha et frère d’Ahmed, l’ami de Salah Abdeslam, sera entendu comme témoin dans ce dossier.

Le 23 mai 2009, le ministère de l’intérieur égyptien transmet aux services français une note selon laquelle Farouk Ben Abbes aurait avoué en détention avoir été missionné pour commettre des attaques en France. Des informations font alors état d’un projet contre des intérêts juifs à Saint-Denis et la salle de spectacle du Bataclan, qui a accueilli plusieurs galas de soutien à l’armée israélienne.

Lors de son interpellation en Egypte, Farouk Ben Abbes était en possession de documents relatifs à la fabrication d’explosifs et d’une clé de chiffrement informatique au nom d’Abou Khattab, le responsable de « l’Armée de l’islam ». Un mail intercepté le 10 mars 2009 entre Abou Khattab et Mustapha Debchi, membre du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, semble étayer les soupçons égyptiens : « Pour ce qui est du frère belge qui aspire à l’érudition, la franchise n’est pas non plus pour me déplaire. Demande-lui mot pour mot : est-il prêt à commettre une opération martyre en France ? (…) Donne-lui mon adresse électronique et la clé et envoie-moi sa clé à lui. »

Farouk Ben Abbes est expulsé vers la Belgique le 8 mars 2010. Placé sous surveillance, il sera interpellé quelques semaines plus tard à la frontière franco-luxembourgeoise en compagnie de Farid Benladghem. Mis en examen en 20 juillet 2010, il affirme avoir été torturé par les services égyptiens et nie toute velléité terroriste.

Non-lieu dans le dossier du Bataclan

Après deux ans d’instruction, le juge Christophe Tessier, estimant ne pas disposer d’éléments suffisants pour asseoir l’existence d’un projet d’attentat visant le Bataclan, prononce un non-lieu le 14 septembre 2012. Farouk Ben Abbes est libre. Il reste cependant mis en examen dans un autre dossier : celui du site djihadiste Ansar Al Haqq, toujours à l’instruction. Installé depuis sa libération à Toulouse, fief des frères Clain, il a été assigné à résidence le 17 novembre 2015, quatre jours après les attentats de Paris, dans le cadre de l’état d’urgence.

Fabien Clain a purgé sa condamnation à cinq ans de prison dans le procès Artigat en août 2012. Suivi par un juge d’application des peines, il était interdit de pénétrer dans vingt-deux départements. C’est donc dans sa maison d’Alençon, en Normandie, qu’il a continué à dispenser son enseignement auprès de ses nouveaux élèves : deux garagistes de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), Thomas Mayet, jeune sympathisant frontiste fraîchement converti, et Macrème Abrougui, un ancien fêtard radicalisé.

Ces deux nouvelles recrues lui ont été apportées par le cogérant du garage, Adrien Guihal, vieille connaissance de Farouk Ben Abbes et de Fabien Clain. Administrateur du site djihadiste Ansar Al Haqq, dossier dans lequel Farouk Ben Abbes est toujours mis en examen, Adrien Guihal a été condamné à quatre ans de prison pour un projet d’attentat en France. Il est devenu gérant, après sa sortie de prison en juin 2012, de ce petit garage, surveillé par les services qui le soupçonnaient d’être un nid de djihadistes.

L’intuition était bonne. En février 2015, tout ce petit monde part rejoindre la Syrie en voiture avec femmes et enfants. Fabien Clain, Thomas Mayet, Macrème Abrougui et Adrien Guihal intègrent les rangs de l’Etat islamique, où les attendent plusieurs anciens cadres de la filière d’Artigat, parmi lesquels Jean-Michel Clain et Sabri Essid, le beau-frère de Mohamed Merah.

C’est depuis la Syrie que les garagistes franciliens et leur mentor fourniront à Sid Ahmed Ghlam des indications pour récupérer une de leurs voitures afin de commettre un attentat à Villejuif. C’est également depuis la Syrie que Fabien et Jean-Michel Clain revendiqueront en chanson les attentats sanglants de Paris.

Dans un communiqué publié lundi 15 février, les familles des victimes de l’attentat du Caire avaient interpellé les services d’enquête sur les correspondances entre ces différents dossiers. Elles s’interrogaient notamment « sur la manière dont le projet d’attentat contre le Bataclan, imputé à Farouk Ben Abbes, a été pris en considération par les autorités ».

Crédit photos : Source : lemonde.fr Auteur : Soren Seelow Date : 16.02.2016

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