Jugé à partir de lundi à Bruxelles pour une fusillade avec des policiers en Belgique pendant sa cavale après les attentats de Paris, le procès du seul survivant des commandos du 13 Novembre s’annonce hors norme.
Son nom sonne au cœur des attentats de Paris, Saint-Denis et de Bruxelles. Salah Abdeslam, 28 ans, est le seul survivant des commandos kamikazes qui ont ensanglanté la France le 13 novembre 2015 (130 morts et plus de 400 blessés). Il est le « dixième », dira-t-il aux deux copains belges venus l’exfiltrer. « Né le 15 septembre 1989 à Bruxelles, 1,75 m, yeux marron », précisait l’avis de recherche diffusé dans toute l’Europe après sa fuite.
Quatre mois plus tard, la fin de sa cavale marque comme un signal : son arrestation dans une planque de son quartier de Molenbeek précède de quatre jours les attaques qui frappent la capitale belge le 22 mars 2016 (32 morts).
C’est dire combien sa première apparition publique dans le procès sous haute surveillance qui s’ouvre ce lundi à Bruxelles (Belgique) sera observée. Chacun des mots qu’il prononcera s’il s’exprimait, et jusqu’à la moindre expression de son visage, seront scrutés. Comme si Salah Abdeslam incarnait l’infime espoir, dans le noir des chagrins, d’obtenir une lueur de vérité sur ces tragiques événements. Mais ce n’est pas cette fois que le logisticien présumé de l’équipée terroriste du 13 novembre répondra de son rôle dans ces attaques. Les quatre associations qui représenteront les victimes françaises à l’audience jusqu’à vendredi en sont bien conscientes.
1. Pour quels faits est-il jugé ?
A travers la porte d’un local censé être vide, une rafale de tirs d’arme automatique. Ce 15 mars 2016, rue du Dries à Forest (sud de Bruxelles), la perquisition « de routine » conduite par des policiers antiterroristes belges et français tourne à la fusillade. Quatre d’entre eux sont légèrement blessés. Après quatre heures d’assaut, l’un des occupants est abattu par un tireur d’élite des unités spéciales : il sera plus tard identifié comme l’Algérien Mohamed Belkäid, alias Samir Bouzid, 35 ans, l’un des coordinateurs présumés des attaques du 13 novembre depuis la Belgique.
Deux autres suspects parviennent à s’enfuir par les toits : l’un d’eux est le français Salah Abdeslam, dont l’empreinte digitale est retrouvée sur un verre - il sera interpellé trois jours après. L’autre est le tunisien Sofien Ayari, 24 ans, qui sera jugé à ses côtés à partir de ce lundi. Tous deux répondent de « tentative d’assassinats de policiers dans un contexte terroriste » et « port d’armes prohibé ».
Fixé une première fois en décembre, ce procès avait été reporté, Abdeslam ayant renoncé à assurer seul sa défense pour la confier de nouveau à l’avocat belge Sven Mary. La récente constitution de partie civile de l’association V-Europe, qui regroupe des victimes des attentats du 22 Mars, sera débattue dès l’ouverture de l’audience.
2. Quelles conditions de sécurité ?
A l’intérieur, quelque 200 policiers. A l’extérieur, plusieurs centaines d’agents, dont des membres des unités spéciales. Dans le ciel, des hélicoptères de la police fédérale. Un dispositif de sécurité hors norme a été mis en place autour du palais de justice de Bruxelles et pour garantir l’acheminement de Salah Abdeslam jusqu’à la 90e chambre correctionnelle.
Détenu dans des conditions drastiques de surveillance à Fleury-Mérogis (Essonne) depuis son transfèrement en France fin avril 2016, Abdeslam est incarcéré le temps du procès dans la prison de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), non loin de la frontière belge. Ses transports, encadrés par des unités d’élite, se feront par la route ou par hélicoptère.
Risque d’attentat, tentative de suicide ou d’évasion : tous les scénarios ont été envisagés. « La coopération entre administrations pénitentiaires et services spécialisés des deux pays est maximale », assure-t-on place Vendôme.
3. Va-t-il parler ?
Au lendemain de son arrestation, Salah Abdeslam, décrit comme « apeuré et amoindri » par Me Sven Mary, avait accepté de faire quelques déclarations. « Il collabore avec la justice belge », assurait l’avocat. Ce suspect clé des attentats du 13 Novembre avait alors expliqué qu’il devait « se faire exploser » au Stade de France, mais qu’il aurait fait « machine arrière ». Ce que contredit un document lui étant attribué, récemment révélé par France Inter, où l’auteur évoque une volonté de « mourir en martyr » contrariée par « un défaut » de sa ceinture explosive.
Abdeslam avait aussi minimisé ses liens avec son ami Abdelhamid Abaaoud, un des organisateurs présumé des attentats, tué dans l’assaut du 18 novembre 2015 à Saint-Denis. Son avocat français, Me Frank Berton, alors désigné, croyait cependant à sa « réelle volonté de s’expliquer ». Quelques mois plus tard, ses deux conseils jetteront l’éponge…
Car face aux juges antiterroristes français, Abdeslam a fait valoir d’emblée son droit au silence. Et il n’est jamais sorti de son mutisme depuis, lors des cinq interrogatoires auxquels il a été soumis. Au fil de ses vingt et un mois à l’isolement, l’état mental de ce détenu scruté 24 heures/24 par des caméras de vidéosurveillance s’est dégradé, au point qu’à l’automne dernier, son régime de détention a été légèrement assoupli.
Côté associations françaises de victimes, l’intention, au-delà d’une présence symbolique et solidaire, est d’analyser son comportement. « J’espère le voir parler », explique Olivier Laplaud, vice président de Life for Paris. « Nous n’attendons pas grand-chose de ce personnage fanatisé, qui a clairement affiché une absence totale de volonté de collaborer », tempère le président de 13onze15, Philippe Duperron.
4. Quand se tiendra le procès des attentats de Paris du 13 novembre ?
Plus de 225 tomes de procédures, des dizaines de milliers de PV d’audition, 2 600 parties civiles… Depuis plus de deux ans, les six juges antiterroristes en charge du dossier œuvrent à reconstituer les moindres ramifications du réseau djihadiste responsable des attaques du 13 Novembre.
Ce travail de fourmi, qui vise notamment à établir « les fortes connexions », dit le procureur François Molins, entre les attentats de Paris et Bruxelles, a conduit à la mise en examen d’une quinzaine de personnes (sept sont en détention provisoire en France, cinq en Belgique et trois visés par un mandat d’arrêt). Il devrait s’achever au printemps 2019, pour un procès espéré à l’horizon 2020.
Date : 04/02/18
Auteur : Pascal Egré
Source : Le Parisien