La Dépêche du Midi
P.C. - 12 mai 2009
Exclusif. Avec trois accidents en 6 ans, l’hélicoptère EC 145 utilisé par la Sécurité civile pose question. Trois familles de victimes du crash de Gavarnie portent plainte.
« Nous ne vous oublierons pas parce que nous n’en avons pas le droit » assurait Nicolas Sarkozy Nicolas Sarkozy, lors des obsèques très tendues des trois secouristes palois. En 2003, il déclarait encore après la mort de Philippe Ribatet : « Toute la lumiè
L’hélicoptère EC 145 est-il un appareil de secours en montagne fiable ? Ou souffre-t-il d’un défaut de construction au niveau du rotor de queue, hypothéquant son utilisation en altitude ? Ainsi que l’a écrit en substance l’expert aéronautique Michel Nibodeau dans son rapport transmis le 10 mai 2005 au juge d’instruction tarbais Jean-Luc Puyo, à propos du crash survenu le 20 juillet 2003 à l’Arbizon, dans les Pyrénées.
Ces questions, les pilotes de la Sécurité civile les ont à leur tour posées le 9 juin 2006, à travers un courrier syndical sans ambiguïté, adressé à leur ministre d’alors, Nicolas Sarkozy, quatre jours après le drame de l’Astazou, à Gavarnie. Puis c’est le député Paul Giaccobi qui les a relayées le 7 novembre 2006, à l’Assemblée Nationale, alors que le même ministre de l’Intérieur se félicitait du fonctionnement de cette nouvelle machine équipant Sécurité civile et Gendarmerie.
Bref, l’EC 145 est-il adapté à toutes les missions qui lui ont été dévolues ? Le problème se pose pour de nombreux professionnels du secours en montagne alors qu’un nouveau crash s’est récemment produit en Corse dans lequel une jeune femme et son nouveau-né ont trouvé la mort ainsi que l’équipage qui les avait pris en charge. Macabre « règle de trois » : 2003, 2006, 2009, à trois ans d’intervalle trois hélicoptères EC 145 de la Sécurité civile se sont donc écrasés en montagne faisant neuf morts et deux blessés, mutilés à vie. Deux Dragon 64 de Pau, dans les Hautes-Pyrénées, lors de vols en stationnaire ; le troisième, un Dragon 2B, à une quinzaine de kilomètres de Bastia, le 25 avril dernier.
Ce faisant, sans préjuger des résultats futurs de l’enquête corse ni faire d’amalgame puisque dans ce dernier cas de figure, le pilote évoluait à travers une météo très dégradée, il n’en demeure pas moins que cet accident prend aujourd’hui une singulière résonance. Coïncidence de dates, le 29 avril dernier, trois familles de victimes ont en effet porté plainte contre X entre les mains du procureur de Tarbes, afin de relancer le dossier du crash de l’Astazou, classé sans suite par ce même procureur l’été dernier. Pour ces familles, l’utilisation de l’EC 145 en montagne pose un vrai problème. Depuis trois ans, elles s’appuient notamment sur des constats et témoignages récurrents laissant suspecter un défaut de rendement en altitude du rotor anti-couple, partie vitale de l’appareil l’empêchant de partir « en toupie ». Et elles n’ignorent pas non plus le contexte dans lequel est survenu l’accident de l’Astazou : quelques semaines plus tard, un marché de 3 milliards de dollars était signé avec l’US Army pour 352 UH 145, version militaire de l’EC 145 à construire aux États-Unis. Peut-on penser qu’il ne fallait pas faire de vagues avant de signer le contrat ?
2003,2006… Deux cérémonies d’obsèques, à chaque fois la vérité promise aux parents de Philippe Ribatet, mort à l’Arbizon, à ceux de Didier Favre-Rochex, Jean-Luc Ducout, Manuel Mandard, tués à Gavarnie. 2 008 ? Un sérieux incident à la Pierre Saint-Martin qui laissera pantois les témoins. 2 009 ? « nous n’avons toujours pas eu le rapport d’accident de l’Astazou » ; rappelle un secouriste. Lequel est prêt à reconnaître les qualités de la machine, le progrès en vitesse, puissance et capacité. Mais pas à admettre l’idée de voler sans savoir si, oui ou non, il a une épée de Damoclès sur la tête. Les familles, elles, n’oublient pas. Elles réclament « le droit à la vérité » qui leur a été promis.
Des anomalies consignées
Que ce soit sur le Balaïtous, en 2004, ou à Gavarnie en septembre 2006, des pilotes ont consigné via une fiche technique d’anomalie, une perte de contrôle momentanée en lacet de leur EC 145, c’est-à-dire sur l’axe de rotation de l’hélicoptère sur lui-même. à l’instar de l’expertise accablante de Michel Nibodeau, ces infos circulent depuis longtemps. La confiance de certains professionnels, témoignant anonymement, « du fait des pressions subies », se retrouve aussi entamée parce que les Suisses de Rega, eux, ont choisi de remplacer par des Agusta A109 Grand leurs EC 145 « trouvés inadéquats pour certains sauvetages en haute montagne » résume le rapport de la commission pour le sauvetage aérien de la commission internationale du secours alpin, en 2006.
2006, la lettre à Nicolas Sarkozy
Extrait du courrier adressé le 9 juin 2006 à Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur par le secrétaire général du syndicat des navigants de la Sécurité civile :
« Si cet appareil apporte à l’évidence un changement significatif positif dans l’éventail de nos missions, depuis sa mise en service, persiste une zone d’ombre sur ses capacités dans certains domaines de vol. Les pertes de contrôle en lacet par manque d’efficacité d u rotor anti-couple, les efforts anormaux aux palonniers, sont des phénomènes récurrents attestés par différents rapports et pour lesquels nous attendons du constructeur des améliorations significatives. Les modifications à venir portant uniquement sur l’assainissement de la chaîne de lacet ne sauront résoudre les déficiences majeures (...) avant que d’autres tragédies n’apparaissent, nous vous demandons au nom des navigants du Groupement d’Hélicoptère, de nous accorder une audience. » Ce qui sera fait en suivant, à Paris, médecins, CRS et pompiers ne voulant plus embarquer à bord. Un témoin se souvient alors : « on nous a pris à part avant la réunion et le marché était très simple : soit on remontait à bord, soit la gendarmerie récupérait tout le secours montagne ».
Eurocopter : « des machines sûres »
Contacté et interrogé quant aux anomalies relevées, à l’expertise de Michel Nibodeau, aux rapports finaux d’accidents de 2003 et 2006 et à la plainte contre X déposée par les familles de victimes, le service de communication d’EADS-Eurocopter répond via Cécile Vion-Lanctuit : « Concernant la plainte contre X, nous n’avons pas de commentaires particuliers à faire. Pour ce qui est de l’accident de 2003, le rapport final n’incrimine pas la machine, elle n’a pas été mise en cause et il n’y a pas eu de problèmes particuliers relevés lors de la campagne de tests qui a été effectuée après le drame. Pour ce qui est du rapport de 2006, d’après mes informations, nous ne l’avons toujours pas reçu, nous n’avons pas ce rapport final d’accident donnant les conclusions de l’enquête sur le crash de Gavarnie. Mais il est évident qu’Eurocopter fait passer la sécurité des passagers et des équipages avant tout : Eurocopter prend sa pleine responsabilité en mettant sur le marché des machines sûres. Pour preuve de cette fiabilité, nous avons aussi la commande passée par l’armée américaine de 350 UH 145. » Du côté d’Eurocopter, comme du côté des équipages, on semble donc bien attendre aussi le rapport de 2006…
Martial Ducout a porté plainte pour son fils « Jean-Luc m’avait indiqué qu’il y avait des anomalies »
« Y a-t-il eu dysfonctionnements techniques ? Quel a été le comportement des divers responsables au moment du choix de cet appareil puisqu’on a fait le choix d’un appareil polyvalent alors que manifestement, s’il convient pour les interventions de plaine et de mer, ce n’est pas le cas pour les interventions de montagne. La formation et l’information des personnels a-t-elle été à la hauteur, puisqu’on a su très vite que l’EC 145 comportait des faiblesses ou des déficiences ? »… Telles sont les principales interrogations du dossier résumées par Me Yves Darmendrail, le 29 avril, comme il porte plainte contre X, au nom des proches du pilote Didier Favre-Rochex, du secouriste Julien Passeron, CRS amputé du pied suite au crash, et des parents de Jean-Luc Ducout, mécanicien de l’EC 145 mort à Gavarnie.
Questions qui minent Martial Ducout, son père, et d’autant plus profondément qu’il possède la maîtrise technique du sujet. « En qualité de mécanicien navigant, j’ai travaillé sur l’hélicoptère durant 43 années, j’ai effectué 7 000 heures de vol et j’ai également une qualification mécanicien navigant essais et réception, délivrée par le Centre d’Essais en Vol » résume ainsi cet ancien militaire ayant achevé sa carrière à la Sécurité civile. Et de poursuivre : « je veux simplement la manifestation de la vérité, connaître les conditions dans lesquelles mon fils a perdu la vie
[…] Jean-Luc m’avait indiqué qu’il y avait des anomalies. » Rotor anti-couple, hydraulique, taille des dérives, points durs aux palonniers, rigidité du rotor principal… L’ancien mécanicien décortique point par point toute la chaîne présumée des dysfonctionnements qui, selon lui, conduisent à une insuffisance de l’efficacité du rotor de queue en altitude, pouvant conduire à la catastrophe… Les modifications apportées sur la machine depuis le drame ? Elles ne traitent pas le problème de fond, selon lui. Pour le père de Jean-Luc Ducout, c’est du côté de la servocommande qu’il faudrait regarder… « mais l’échange de cette pièce serait long et onéreux ».