LIBÉ A 50 ANS : 2011, 2015, CHARLIE, JE T’AIME

Accueillir la rédaction endeuillée de l’hebdo a été une évidence, tant les deux journaux partagent, malgré des dissonances, un état d’esprit commun.

Pour nos 50 ans, voici 50 histoires folles qui n’auraient jamais pu avoir lieu ailleurs qu’à Libération. Dans nos murs, dans nos colonnes, dans nos coulisses, dans la légende ou dans nos délires ; drôles, tragiques, étonnants, oubliés ou secrets, revivez avec nous les moments marquants des années Libé. Retrouvez tous les articles sur notre cinquantième anniversaire dans notre dossier spécial.

L’évidence. Par deux fois Charlie Hebdo a été attaqué. Une première fois, en novembre 2011, avec l’incendie de leurs locaux, provoquant seulement des dégâts matériels. Une deuxième fois, le 7 janvier 2015, l’attentat que personne n’oubliera. Et, par deux fois, le journal satirique a été accueilli par Libération.

Les survivants auraient pu aller ailleurs, ils croulaient sous les propositions, mais entre deux journaux nés de la contestation, de l’esprit de 68, du désir de rire, de faire la fête et de casser les codes établis, les normes bourgeoises, le lien a toujours été très fort. Malgré, au fil des décennies, quelques divergences éditoriales, voilà deux frères qui s’aiment, s’agacent et se disputent parfois, s’éloignent puis se retrouvent. Comme en 2007, où Libé avait ouvert ses pages pour un numéro spécial et historique sur les caricatures de Mahomet, au nom de la liberté d’expression. Nombreux sont aussi les journalistes qui sont passés d’un canard à l’autre ou ont collaboré pour les deux en même temps, comme les dessinateurs Willem et Coco ou le rédacteur-écrivain Philippe Lançon.

« Ecrire avec nos larmes »

En 2011, dans les locaux historiques de la rue Béranger, Charlie prend place au rez-de-chaussée, dans la pièce qui servait de tri pour le courrier postal. Ils restent quelques mois, discrets avec seulement le bruit des bouteilles d’alcool qui glougloutent les soirs de bouclage.

En 2015, dans le choc de l’attentat, les martyrs s’installent dans le hublot, la salle du comité du quotidien, l’équivalent de la salle du trône. Les survivants arrivent au compte-gouttes, comme Willem, revenu de son île bretonne, éberlué. Il dit, le soir même : « Charlie Hebdo a été décapité, ça va être difficile de continuer, mais je suis pour, plus que jamais. » Et, « on ne peut pas laisser le monde aux tueurs à kalachnikov ». Très vite la décision de continuer est prise. L’urgentiste Patrick Pelloux explique : « Comme aurait dit Cabu, il faut qu’on sorte un journal encore meilleur, donc on va le faire, je sais pas comment, on va l’écrire avec nos larmes. »

Choux à la crème

Libé devient une zone de crise. Il faut montrer patte blanche pour aller travailler. Des dizaines de journalistes campent devant les bureaux, protégés par des policiers et des militaires lourdement armés. Des flics en civil se baladent dans les couloirs derrière les Charlie encore menacés. Des politiques, des hommes en costumes, d’autres en uniformes, viennent se faire voir au côté de la rédaction endeuillée, empruntant par grappes la célèbre vis du journal. On suit en direct à la télé la prise d’otages de l’Hyper Cacher et l’assaut de l’imprimerie où se sont réfugiés les frères Kouachi le 9 janvier 2015, tandis qu’à quelques mètres de nous Manuel Valls serre la main de Luz. « Tout est pardonné », la célèbre une du retour à la vie, est présentée chez nous.

Au fil des mois, le calme ne revient pas, il ne reviendra jamais, mais une routine s’installe. Charlie récupère un étage et, c’est bien normal, se calfeutre. On se croise surtout sur la grande terrasse ou lors de rares pots ou soirées, auxquelles nos invités contribuent généreusement, notamment en choux Popelini. Des années après encore, quand l’on goûte de nouveau ces choux à la crème aux saveurs subtiles, on retombe instantanément rue Béranger, dans la cafétéria, un verre de rosé à la main, écoutant les rires et les conversations des rédacteurs qui se mélangent. La tristesse éternelle cachée derrière des phrases, des dessins, des blagues. Jusque très tard dans la nuit. Par peur de s’endormir.

Crédit photos : Article rédigé par Quentin Girard publié sur le site www.liberation.fr

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