Marie-Claude Desjeux continue le combat pour son frère tué dans un attentat en Algérie

La présidente de la Fenvac a perdu son frère lors de la prise d’otages sur un site gazier algérien en 2013. Elle souhaite élucider les zones d’ombre qui entourent son décès.

« Vous pouvez me poser toutes les questions, je répondrai à tout. C’est dans mon tempérament », glisse, d’une douce voix, Marie-Claude Desjeux, 70 ans. Apprêtée jusqu’au bout des ongles, petit blazer orange pétant, et foulard de la même couleur avec une touche de bleu autour du cou, la Parisienne a donné rendez-vous à actu Paris à la brasserie La Mascotte Ternes, dans le 8e arrondissement de la capitale.

La présidente de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac) revient sur le décès de son frère Yann Desjeux, mais aussi le combat qu’elle mène depuis dix ans pour éclairer les circonstances précises de sa mort. En 2013, l’ancien militaire a été tué lors de l’opération menée par l’armée algérienne pour libérer les otages retenus sur le site gazier de Tiguentourine, près d’In Amenas, en Algérie.

Les derniers échanges avec Yann Desjeux

Le sujet est difficile. Pourtant, Marie-Claude Desjeux en parle avec une aisance déconcertante. Les détails sont intacts. Elle n’a rien oublié de ce mercredi 16 janvier 2013. Très matinale ce jour-là, la Parisienne est à son bureau avenue Franklin-Roosevelt. Le téléphone retentit. Au bout du fil, son frère Bruno, alors directeur général de la régie au Figaro. Il lui demande le nom exact du site sur lequel travaille leur frère Yann en Algérie. Elle répond ne pas savoir. Marie-Claude Desjeux raccroche sans plus s’inquiéter. À ce moment-là, Yann Desjeux, ancien militaire « d’un régiment de commando », avait pris sa retraite, et travaillait depuis dans une société de sécurité anglo-algérienne.

Marie-Claude Desjeux se remémore les derniers échanges avec son frère Yann. Elle l’avait eu la veille. Leur mère avait été opérée d’un cancer du poumon et se trouvait en réanimation. Ils s’appelaient souvent pour se donner des nouvelles. Son frère Bruno, lui, avait eu le mardi soir vers 23 heures. Au même moment, la France avait déclenché « l’opération Serval pour envoyer des forces françaises au Mali, tout en demandant l’ouverture de l’espace aérien en Algérie ». Il lui avait donc demandé si tout se passait bien, Yann lui avait répondu : « C’est tendu, mais on maîtrise. »

Mais, quelques minutes plus tard, Bruno constate que la situation en Algérie se complique. Il décide de rappeler Yann. Au téléphone, il lui répond : « Je suis otage, je suis otage. » Et il raccroche. Ce sont leurs derniers échanges.

Dans la foulée, Marie-Claude Desjeux reçoit un autre appel de son frère Bruno. Il lui dit que des personnes sont prises en otage sur le site gazier d’In Amenas en Algérie, endroit où se trouve également leur frère Yann : « Je n’arrivais plus à respirer. C’est comme si j’avais une bombe qui explosait dans ma tête », se souvient-elle.

Rapidement, l’information de la prise d’otages arrive jusqu’aux oreilles des médias. Là, son téléphone ne fait que sonner. Et des journalistes sont en bas de son domicile.

Une attente interminable
L’incertitude, l’angoisse s’installent. Les migraines aussi. Marie-Claude Desjeux doit prévenir ses proches, c’est « une cellule de guerre » dans sa famille. Rien ne passe, ni nourriture ni même de l’eau. L’attente est insupportable. Personne ne la contacte. Alors, elle prend les devants et téléphone à la cellule de crise. Et lui confirme que son frère Yann est pris en otage avec quatre autres français et plus de 200 « Occidentaux ».

Malgré la situation, Marie-Claude Desjeux sent au fond d’elle que son frère Yann s’en sortira vivant, comme il l’a toujours fait : « Il baigne dans ce milieu depuis l’âge de 18 ans. Alors, je me dis que, cette fois-ci encore, il nous reviendra. »

Le jeudi 17 janvier 2013, un médecin de la cellule de crise interministérielle appelle Marie-Claude Desjeux. Elle lui précise que sa famille est prête à tout entendre. La situation n’est pas très claire, et les informations transmises ne le sont pas non plus. Un brouillard s’installe, et la peur ne fait que grandir d’heure en heure.

Le vendredi matin, les autorités algériennes décident d’intervenir pour secourir les otages détenus à In Amenas. Au même moment, Marie-Claude Desjeux se trouve à l’enterrement d’un de ses amis proches. La messe se termine, le médecin de la cellule de crise l’appelle. Il lui demande comment elle se porte. Dans sa question, elle comprend très vite qu’il se passe quelque chose. La conversation se termine. Mais une dizaine de minutes plus tard, il rappelle. Elle sait ce qui va lui être annoncé. Son frère Yann a été tué à l’âge de 52 ans lors de l’intervention de l’armée algérienne.

C’est un choc terrible. J’étais persuadée qu’il reviendrait parmi nous.

Marie-Claude Desjeux
Présidente de la Fenvac

« Ramener Yann à la maison »

Marie-Claude Desjeux n’a alors qu’une idée en tête : ramener son frère Yann auprès des siens. Personne ne l’empêchera de se rendre à Alger. Durant le voyage qu’elle effectue avec trois autres membres de sa famille, on leur précise que le corps de Yann a été disloqué. On leur conseille de ne pas chercher à voir sa dépouille. Mais Marie-Claude Desjeux doit « ramener son frère à la maison », coûte que coûte. « C’était d’une violence extrême, mais, tout à coup, je me suis sentie sereine. »

Le corps de Yann Desjeux est rapatrié en France pour être enterré dans sa ville de cœur, Bayonne, au Pays basque.

Marie-Claude Desjeux se remémore toutes les fois où elle l’a accompagné à l’aéroport, à son départ en mission : « Je lui disais toujours de faire attention à lui. Et il me répondait : « Ne t’inquiète pas sœurette, ne te fais pas de souci. »

Éclaircir les zones d’ombre autour de la mort de Yann Desjeux
Un autre combat commence : celui de la vérité. Pendant la prise d’otage de Yann Desjeux et jusqu’à sa mort, les informations transmises à sa famille ne sont pas claires. Marie-Claude Desjeux décide d’aller chercher elle-même les réponses à ses questions.

Mon frère n’a pas été tué par les terroristes, mais bien par l’armée algérienne. Nous ne connaissons ni la date ni le lieu précis de sa mort.

Marie-Claude Desjeux
Présidente de la Fenvac
Sa famille décide de mener elle-même ses investigations. Ses proches rencontrent les personnes prises en otage lors de l’attaque du site gazier, et vont jusqu’en Angleterre, car la société qui employait Yann Desjeux était anglaise.

En France, l’enquête préliminaire traîne en longueur. Marie-Claude Desjeux pousse un « coup de gueule » dans les médias pour dénoncer la lenteur de la procédure. L’instruction s’ouvre enfin, un an plus tard. Dix ans ans après, « nous devons être au quatrième ou cinquième juge d’instruction, mais il ne se passe rien, fulmine Marie-Claude Desjeux. Nous sommes très en colère, car on ne nous dit pas la vérité. « 

Elle poursuit : « Le procès ne nous intéresse pas. Nous voulons savoir qui a commandité l’attaque. C’est avant tout une affaire politique, et c’est la raison pour laquelle la France n’a pas voulu prendre de risque durant la prise d’otages. A cette époque, j’ai demandé aux Affaires étrangères d’envoyer une personne en infiltration afin de les sortir de là. En réponse, on m’a dit que c’était compliqué. » Avec le recul, elle pense que c’était une question géopolitique, en raison de l’opération Serval qui était menée à cette époque par la France au Mali.

« Les victimes, on s’en fout »
Dix ans après la mort de Yann Desjeux, la bataille menée par sa famille est loin d’être terminée. Marie-Claude Desjeux réclame que la société qui employait son frère paie le capital décès auquel les enfants de ce dernier ont droit. Ce qui n’a toujours pas été fait.

Sur Internet, les proches de Yann Desjeux ont découvert qu’une stèle a été érigée à l’endroit où il a été tué. Ils demandent au ministère des Affaires étrangères de pouvoir se recueillir dessus. Là aussi, on leur a répondu « que c’était une mission très compliquée ».

La présidente de la Fenvac demande aujourd’hui qu’une plaque soit érigée aux Invalides en l’honneur de son frère Yann Desjeux. « Tout le monde s’en fout de la justice et des victimes, car ça ne concerne personne tant que ça ne vous touche pas, s’exclame-t-elle. Et j’entends encore des copains me dire : « Ah bon, tu n’es pas passée à autre chose ? Nous continuerons à nous battre pour la mémoire de Yann, et pour notre famille. »

Cet article est rédigé par Marine Lemesle pour ActuParis.

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