MH370 : Quatre-vingt-dix jours pour percer le mystère

Le « Seabed Constructor », navire bardé de technologies de pointe affrété par une société américaine, a été autorisé par la Malaisie à explorer une nouvelle zone. Une course contre la montre pour retrouver la trace du Boeing disparu le 8 mars 2014.

Sur les écrans radar, le navire Seabed Constructor n’est qu’un petit point qui fait route dans l’océan Indien, entre l’Afrique du Sud et l’Australie. Pour les familles et tous ceux qui espèrent connaître la vérité sur le vol MH370, c’est un nouvel espoir. Un an après l’abandon officiel des recherches du Boeing 777 de la Malaysia Airlines volatilisé le 8 mars 2014 avec 239 personnes à bord, l’entreprise américaine de cartographie sous-marine Ocean Infinity a obtenu ce mercredi l’autorisation de la Malaisie de lancer sa propre opération dans une nouvelle zone de recherches. Un énorme pari scientifique et commercial, puisque les frais engagés ne seront remboursés que si l’équipe d’ingénieurs retrouve l’épave de l’avion en quatre-vingt-dix jours. Le ministre des Transports malaisien a évoqué une « allocation spéciale » de 16 à 60 millions d’euros en cas de découverte. Un succès qui serait un formidable coup de publicité et lèverait le voile sur le plus grand mystère de l’aviation civile.

Quels sont les atouts d’Ocean Infinity ?

« Comme la fenêtre météorologique est étroite, nous rapprochons déjà le Seabed Constructor de la zone possible de recherches », explique à Libération le porte-parole de l’entreprise. Cette nouvelle zone se situe dans l’océan Indien, à environ 2 000 kilomètres à l’ouest de l’Australie. Elle est légèrement plus au nord-est que celle de 120 000 kilomètres carrés (quatre fois la Belgique) qui a été ratissée en vain durant deux ans et demi par une armada de bateaux, pour un coût de 130 millions d’euros. Les moyens technologiques déployés par la société américaine feraient presque passer les opérations précédentes pour de l’artisanat. Le Seabed Constructor transporte huit véhicules sous-marins autonomes, beaucoup plus rapides et efficaces que les sonars en remorque utilisés auparavant pour scanner le fond de l’océan. Ces drones, qui ont soixante heures d’autonomie de batterie et descendent jusqu’à 6 000 mètres (ce qui correspond à la profondeur maximale à cet endroit), vont reconstituer les fonds sous-marins et identifier les pièces métalliques qui s’y trouvent. Ils communiqueront leurs résultats en temps réel à huit petites vedettes télécommandées qui les suivront en surface. « Cela fait longtemps qu’on attend cette nouvelle, se félicite le spécialiste en sécurité aérienne Xavier Tytelman, qui, au sein de plusieurs groupes de passionnés, enquête depuis près de quatre ans. On est d’accord sur la position finale de l’avion, à quelques centaines de kilomètres près. La zone de recherches est prometteuse et elle correspond aux analyses des stations d’écoute des bruits sous-marins, qui ont enregistré des "plouf" et déterminé un angle et un horaire. » Le but de l’opération est de retrouver le champ de débris et d’envoyer un robot récupérer la boîte noire de l’appareil, qui contient les enregistrements à l’intérieur du cockpit et les paramètres de vol.

Pourquoi cette nouvelle zone de recherches ?

Malgré trois ans et demi d’enquête officielle dirigée par la Malaisie, on sait toujours très peu de choses sur la disparition du Boeing, qui a quitté sa route prévue peu après avoir décollé de Kuala Lumpur en direction de Pékin. Les moyens de communication ont alors été coupés, et l’avion a disparu des radars civils. L’enquête a montré qu’il a fait plusieurs changements de direction pendant une heure, repassant au-dessus de la Malaisie et remontant le détroit de Malacca avant que sa trace soit perdue. Mais depuis qu’un flaperon a été retrouvé sur une plage de l’île de la Réunion, en juillet 2015, et identifié comme provenant du MH370, les enquêteurs ont la certitude que l’avion s’est écrasé dans le sud de l’océan Indien. Une vingtaine d’autres morceaux ont été, depuis, récupérés au Mozambique, en Tanzanie ou à Madagascar, avec une « haute probabilité » qu’ils proviennent du même appareil.

La zone sur laquelle se rend le Seabed Constructor s’étend sur 25 000 kilomètres carrés. Elle a été préconisée par l’ATSB, le bureau d’enquête australien, puisqu’il est désormais sûr que l’épave ne se trouve pas dans la première zone étudiée. « Les Australiens se sont basés sur les calculs de rétro-dérive effectués à partir de photos de débris repérés en mer quinze jours après le crash par Pléiades, un satellite militaire français, précise le contrôleur aérien Gilles Diharce, auteur du très sérieux Mystère du vol MH370 (1). Cette zone recoupe celle que j’avais moi aussi privilégiée sur la base des courants marins, du suivi aérien et de l’hypothèse que l’avion a été piloté jusqu’à la fin. Je suis un peu plus confiant que la première fois, mais pour autant, on n’est pas sûr de le trouver là. »

Après avoir mis cap au sud, le MH370 a continué à envoyer des signaux automatiques à un satellite, enregistrés et analysés ultérieurement par la société Inmarsat. Un « ping » a été généré chaque heure durant six heures, ce qui a permis de tracer une trajectoire approximative jusqu’au large de l’Australie. Un septième et dernier ping a été envoyé quelques minutes après le sixième. Il pourrait avoir été déclenché par la coupure électrique créée par la panne de carburant, et marquerait le début de la descente de l’avion. En piqué s’il était auparavant en pilotage automatique, ou en planant si quelqu’un était encore aux commandes, deux scénarios sur lesquels les experts se déchirent tant les informations sont infimes, parcellaires ou confidentielles.

Pourquoi tant d’inconnues ?

Depuis l’instant où le pilote n’a pas pris contact avec les contrôleurs du ciel vietnamiens, après avoir souhaité « bonne nuit » à la tour de contrôle malaisienne, les autorités de Kuala Lumpur, chargées juridiquement de l’enquête et qui ont la responsabilité de rendre publiques ou pas les informations, ont cumulé lenteur de réaction, manque de transparence et difficulté de coordination avec les autres pays. La Malaysia Airlines n’a lancé l’alerte que cinq heures après avoir perdu la trace de son avion, l’armée malaisienne n’a pas remarqué qu’un appareil fantôme se promenait dans son espace aérien, les autorités ont attendu trois jours pour révéler que l’avion avait fait demi-tour, et ont mis six mois à autoriser Ocean Infinity à entreprendre des recherches. L’enquête policière menée sur le profil des passagers et des pilotes n’a rien donné. Le fait qu’il semble impossible qu’au XXIe siècle, un énorme Boeing bourré de technologie puisse se volatiliser sans qu’aucun équipement civil ou militaire ne le repère nourrit depuis quatre ans la colère des familles. Le Français Ghyslain Wattrelos, dont la femme et deux enfants se trouvaient dans l’avion, se félicite que des recherches soient relancées et qu’on reparle de l’affaire. Mais il se montre désabusé : « Pour moi, c’est une ultime manipulation. Il n’y a aucune raison que l’avion ait fini là. Il y a forcément quelque part des militaires qui savent où est l’appareil et qui ne disent rien. Les services secrets américains, anglais et australiens nous baladent depuis le début. »

Quels sont les scénarios possibles ?

Des dizaines d’hypothèses contradictoires ont été avancées. Tous les enquêteurs semblent désormais d’accord sur le fait que le détournement de l’avion et la coupure des moyens de transmission ont été volontaires, même si l’acte n’a pas été revendiqué. Une thèse populaire parmi les pilotes est que le commandant de bord du « triple 7 » a pu détourner son avion, dépressuriser la cabine pour tuer les passagers et l’équipage, et l’avoir fait voler jusqu’au bout grâce à sa réserve d’oxygène. Le scénario le plus médiatique affirme que le 777 a été détourné pour être jeté sur la base américaine de Diego Garcia, une île britannique au sud des Maldives, et qu’il aurait été abattu par l’armée américaine. Mais il impliquerait qu’Inmarsat, une société basée à Londres, ait menti sur les données satellite, qu’aucun des débris retrouvés n’appartienne au MH370 et que Washington ait caché avoir détruit un vol commercial. De son côté, Guo Wengui, un milliardaire chinois qui vit aux Etats-Unis, a affirmé en octobre que le Parti communiste voulait faire disparaître certains des 153 passagers chinois, témoins de graves malversations, mais sans expliquer pourquoi ils n’auraient pas été simplement cueillis à l’arrivée.

Une autre piste a été développée en décembre par le respecté historien anglais Norman Davies. Il pense que des moyens technologiques déployés par les Etats-Unis après les attentats du 11 Septembre avaient été installés sur l’appareil pour qu’il puisse être contrôlé à distance en cas de détournement. Le président George W. Bush l’avait promis, et la compagnie allemande Lufthansa s’était à une époque inquiétée de la possibilité qu’un tel système soit mis en place sur tous les avions par Honeywell, une société américaine qui a le monopole sur Boeing et Airbus. Pour Davies, le MH370 aurait été détourné une première fois par les Américains parce qu’« il transportait peut-être des choses que quelqu’un ne voulait pas voir arriver à Pékin ». Puis il aurait été reprogrammé par d’autres pirates et envoyé se perdre au loin. La thèse du piratage informatique, qui serait une première dans l’histoire, possède de nombreux supporteurs. « Il y a eu des allégations et des démentis sur les vulnérabilités en termes de cybersécurité dans les avions, relativise Pete Cooper, du think-tank indépendant Atlantic Council, basé à Washington. Mais même si elles étaient avérées, il est extrêmement improbable qu’un pirate extérieur puisse faire preuve du niveau de contrôle exigé par ces théories. » Et l’expert en cybersécurité aérienne de préciser : « Le défi est que les systèmes aériens modernes sont connectés avec l’extérieur de multiples façons. Protéger ces systèmes est un enjeu complexe mais essentiel si nous voulons éviter à l’avenir de tels doutes et spéculations. »

Date : 09/01/18
Auteur : Laurence Defranoux
Source : Libération

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