Pour les victimes de terrorisme, chaque nouvel attentat est “un retour en arrière”

Lorsque survient une nouvelle tragédie, les victimes de terrorisme sont replongées dans leur traumatisme. Cette fois encore, les images de l’attaque au camion bélier de la Rembla à Barcelone fait ressurgir la terreur des rescapés d’attentats précédents .

Attentat de la Rambla à Barcelone. Quatorze morts. Depuis des heures, réseaux sociaux et chaînes d’informations en continu ne cessent de diffuser en boucle les mêmes séquences, les mêmes paroles, les mêmes histoires de vies brisées. Les photos du camion encastré, les vidéos amateurs, les cris de terreur, les corps gisants sur le sol, recouverts de draps blancs. Autant d’images qui s’étalent sur les écrans sans respiration possible.

“Ça ravive toutes mes souffrances, lâche Anne Murris d’une voix tremblante. Depuis hier, j’ai une forme de peur qui se réinstalle.” Cette niçoise, trésorière de l’association Les Anges de la Promenade, a perdu sa fille le 14 juillet 2016 à Nice, lors de l’attentat au camion qui a coûté la vie à 86 personnes.

Après l’attaque de la promenade des Anglais, Anne Murris a cherché sa fille pendant plusieurs jours avant d’apprendre son décès. “Depuis hier, je revis ces moments. Les mots me manquent, souffle-t-elle. Cette nouvelle tragédie me tétanise.”

“Je revis une souffrance et une angoisse viscérales”

A chaque nouvel attentat, que ce soit Paris, Nice, Berlin, Londres, Manchester ou Barcelone, les victimes d’actes de terrorisme, témoins, rescapés ou proches, sont replongés dans leurs traumatismes. Depuis hier, le portable de Stéphane Gicquel, le président de la fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac) ne cesse de sonner. Les victimes que son association suit et épaule dans leur douleur lui envoient des messages inquiets. “Un nouvel attentat représente souvent un effarement, un découragement”, explique-t-il.

Encore plus aujourd’hui, car selon lui le mode opératoire de l’attentat de Barcelone, similaire à celui de Nice, “les remet dedans”. Les images diffusées en boucle obnubilent les victimes déjà fragiles. Anne Murris, qui a n’a pas dormi de la nuit, a refusé de les regarder tant elles lui étaient “insoutenables“. Elle s’est cantonnée à la presse. “Même certains articles je n’ai pas pu les lire, glisse-t-elle. Les premiers mots m’étaient insupportables.” Avant de répéter, abattue : “Je revis une souffrance et une angoisse viscérales.”

“Un nouvel attentat annihile les efforts”

D’un point de vue clinique, cela peut faire ressurgir les traumatismes. “C’est un retour en arrière, affirme Stéphane Gicquel. Aller au cinéma, à un concert, en terrasse, ce sont de petites victoires. Un nouvel attentat annihile tous ces efforts. Les angoissent reprennent le dessus. Parfois on recommence le traitement médical qu’on avait arrêté.”

“On peut rencontrer trois cas de figure”, étaye le professeur René Garcia, chercheur à l’université Nice-Antipolis, spécialisé en neurosciences et en psychotraumatologie. “Pour beaucoup de gens, il risque d’y avoir un retour des symptômes. D’autres, qui n’ont pas développé de traumatisme lorsqu’ils ont vécu leur attentat, peuvent développer un syndrome post-traumatique. Enfin, il y a un risque d’amplification des symptômes déjà présents.”

Selon le Pr Garcia, pour les victimes de l’attentat de Nice, l’attaque de la Rembla est d’autant plus violente que “plus l’évènement est proche en terme de mode opératoire que celui qui a été vécu, plus il peut affecter”.

“Quand va arriver le prochain ?”

Les spécialistes essaient donc de faire une prévention sur ce point. Car à la différence d’autres tragédies, les attentats terroristes ont cette particularité d’être récurrents. Pour ceux qui ont vécu de tels actes, le terrorisme devient omniprésent et la succession des attaquent risque de les bloquer dans leur rémission. Pour le Pr Garcia, s’il “ne faut pas généraliser”, cette répétition peut “enfermer” les victimes dans leur traumatisme.

“Le terrorisme fait irruption dans leurs vies et s’y installe, raconte encore Stéphane Gicquel. Ils vivent ça comme un échec sans solution.” Depuis un an, Anne Murris y pense tous les jours. “Cette thématique est rentrée dans mon esprit, témoigne-t-elle. C’est quelque chose auquel je pense et quelque part, même si je ne désespère pas, je me demande toujours : “Quand va arriver le prochain ?“”

“Les gens ont peur d’être oubliés”

Par ailleurs, les spécialistes décèlent une particularité propre au terrorisme qui se confirme au fil des attentats. “Les gens ont peur d’être oubliés, de passer au second plan”, explique Stéphane Gicquel. La Fenvac, son association, s’occupe également de victimes d’accident collectifs chez qui on ne retrouve pas cette caractéristique. “C’est une spécificité du terrorisme.”

Géraldine Million, psychologue victimologie qui a suivi des victimes de la tragédie de Nice confirme. “Il y a un besoin de reconnaissance. Avec un autre attentat, ils ont peur d’être dépossédés.”

Selon Stéphane Gicquel, cela risque d’arriver également suite aux évènements tragiques de Barcelone. Encore plus du fait de présence de huit Français au sein des blessés. “C’est un vrai défi pour les pouvoirs publics, pense-t-il. L’équité dans le traitement des victimes.”

Auteur : Pierre Bafoil
Source : Les Inrocks
Date : 19/08/2017

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