PROCÈS DE L’ATTENTAT DE NICE : LES AVOCATS FONT ENTENDRE LA VOIX DES "VICTIMES INVISIBLES"

Le verdict du procès de l’attentat de Nice sera rendu le 13 décembre. Le président de la cour d’assises spéciale de Paris l’a annoncé lors de la 13e semaine d’audience qui s’est achevée ce jeudi. Les plaidoiries des parties civiles, marquées par l’évocation des "victimes invisibles", sont terminées.

La fin du procès de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice approche. Après les plaidoiries des avocats des parties civiles qui se sont achevées ce jeudi 1er décembre, les réquisitions du parquet national anti-terroriste doivent avoir lieu mardi prochain, avant de laisser la place pendant trois jours aux avocats de la défense. Lundi 12 décembre, les accusés auront la parole une dernière fois, avant que la cour ne se retire pour délibérer. Le verdict du procès de cet attentat au camion-bélier sur la Promenade des Anglais, qui avait fait 86 morts et plus de 400 blessés, sera rendu mardi 13 décembre "dans le courant de l’après-midi", a annoncé le président de la cour d’assises spéciale de Paris, Laurent Raviot.

En attendant, lors de cette 13e semaine d’audience qui vient de se clôturer, les avocats des parties civiles ont mis en avant les "obstacles" qui empêchent, selon eux, les victimes d’accorder leur "pardon" aux accusés. Ils ont aussi évoqué les "victimes invisibles" de l’attentat : ces personnes qui n’ont pas pris la parole à l’audience, n’y ont pas assisté ou ont même renoncé à faire valoir leurs droits à une réparation.

Ne pas oublier ceux qui "ont choisi le silence"

Pendant cinq semaines, du 20 septembre au 21 octobre, 270 victimes de l’attentat de Nice sont venues témoigner devant la cour d’assises spéciale de Paris, mais 2.500 personnes se sont constituées partie civile. Certaines n’étaient pas présentes sur la Promenade des Anglais le soir de l’attentat, mais un de leurs proches est décédé ou traumatisé ; d’autres ont été fauchées par le camion-bélier conduit par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel ou choquées par "tout ce qu’elles souhaiteraient n’avoir jamais vu", a expliqué Nicolas Gemsa, avocat d’environ 300 victimes.

"Ce que vous avez entendu, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg tellement plus vaste d’une humanité ravagée", a poursuivi Nicolas Gemsa, tandis que sa consœur, Océane Dufoix, a appelé à ne pas oublier ceux qui "ont choisi le silence".

"Dès que j’y pense, je m’écroule"

Pour les clients d’Océane Dufoix, venir témoigner devant la cour d’assises spéciale de Paris était "au-dessus de leurs forces, c’est les renvoyer à ce 14 juillet qui les hante depuis des années, c’est réveiller des sentiments qu’ils tentent de fuir". "Dès que j’y pense, je m’écroule", a par exemple confié le beau-père de Romain, tué à 10 ans, à son avocat Jérôme Gay, venu "témoigner des souffrances infinies" de cette famille.

Certaines victimes ne sont pas venues témoigner également parce qu’elles "ne se sont pas senties légitimes", explique maître Michèle Siari. D’autres ont renoncé pour des raisons pratiques ou financières, la tenue du procès à Paris représentant "un poids de plus".

Certaines victimes ont aussi été empêchées par leur stress post-traumatique, qui leur interdit transports en commun et lieux très fréquentés. Clairette, 90 ans, amputée des deux jambes a perdu sa sœur dans l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice. "La simple évocation de cette journée la plonge dans une profonde angoisse et une infinie tristesse", a expliqué Pauline Marcé, qui assiste sa famille.

L’attentat de Nice a créé une "onde de choc exceptionnelle" et touché "un nombre de personnes inquantifiable", à différents degrés, selon Me Marie-Pierre Lazard.

Me Marie-Pierre Lazard a souligné que cet attentat "à ciel ouvert", un soir de fête nationale, alors qu’environ 30.000 personnes étaient rassemblées sur la Promenade des Anglais a créé une "onde de choc exceptionnelle" et touché "un nombre de personnes inquantifiable", à différents degrés. Et il y a certainement "de nombreuses autres [victimes] dans la nature", estime son confrère, Nicolas Gemsa.

Les obstacles au pardon

Depuis le lundi 5 septembre 2022, huit personnes comparaissent devant la cour d’assises spéciale de Paris dans le cadre de ce procès de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice. Trois accusés sont poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste, les cinq autres accusés sont jugés pour trafic d’armes (dont l’un en son absence). L’auteur de l’attentat, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, un homme tunisien de 31 ans, a été abattu par la police au terme de la course meurtrière de son camion-bélier sur la Promenade des Anglais.
Face à ce "passé qui ne passe pas [...] seul le pardon permet de devenir un autre soi" et de renouer avec "le sens de la vie", sans "se confondre avec l’oubli et l’excusable", estime l’avocate Claudette Eleini. Mais ce pardon nécessite un "rapport [...] entre celui qui demande le pardon et celui qui le donne", il suppose que le premier "reconnaisse sa faute", mais l’auteur de l’attentat de Nice "n’est pas là pour le demander".

Chez les accusés, "nous n’avons perçu aucune once de sentiment de responsabilité, aucun soupçon de retour sur soi", hormis quelques "mots préparés" à l’avance, regrette l’avocate qui ajoute qu’"aucun ne se sent coupable"* de ce qu’il a fait ou n’a pas évité. Claudette Eleini déplore une "inversion des rôles" alors que de nombreuses victimes ont fait part de leur sentiment de culpabilité pour n’avoir pas prêté assistance aux blessés, ou ne pas être décédé à la place d’un autre membre de leur famille. Pour Me Olivia Chalus, par cette attitude de déni, "ils s’interdisent le pardon à eux-mêmes, mais aussi de recevoir celui des victimes".

Par cette attitude de déni, "ils s’interdisent le pardon à eux-mêmes, mais aussi de recevoir celui des victimes", estime Me Olivia Chalus.

"Peut-être que ce procès permettra [à certaines victimes] d’ouvrir une porte fermée à double-tour et, derrière cette porte, de renouer un lien avec les autres, de redécouvrir ce que veut dire être vivant et de s’octroyer le droit d’aimer et d’être aimé", souhaite Me Chalus, qui clôture la plaidoirie coordonnée menée depuis mercredi 23 novembre par 55 avocats.
Et maintenant "que justice soit faite !"

Pour conclure les plaidoiries des parties civiles, des avocats se succèdent pour lire des mots prononcés par les victimes endeuillés, rescapés ou proches de victimes qui sont venus témoigner à la barre. Une avocate lit la lettre d’un homme qui a perdu son fils âgé de 10 ans le soir de l’attentat. "Relater les faits de l’assassinat de mon fils unique, Romain, âgé de 10 ans, devant la cour ou les médias, ne m’aurait apporté ni réconfort ni mon fils. Sachez simplement que, le 14 juillet 2016, avant de descendre admirer le feu d’artifice, Romain chantait la Marseillaise sous la douche. À seulement dix ans, et avec toute son innocence, il avait pleinement conscience de son appartenance à la société française et faisait confiance au monde qui l’entourait", écrit ce père endeuillé.

Au terme des plaidoiries des parties civiles, durant lesquelles une centaine d’avocats ont plaidé devant la cour, parmi lesquels beaucoup avaient du mal à dissimuler leur émotion, l’avocate niçoise Valentine Juttner lance : "Que justice soit faite ! Ça ne ramènera pas nos morts. Mais ce sera peut-être la lumière tant attendue au bout du tunnel".

Les avocats des parties civiles ont cependant déjà reconnu que ce procès n’apportera pas toutes les réponses que leurs clients attendaient. Dans le box des accusés, "il n’y a personne pour répondre de l’acte criminel. Il nous faut vivre avec ce vide [et] consentir à la limite qui s’impose à la justice des hommes", a rappelé Me Sylvie Topaloff, en soulignant qu’aucun des accusés n’est poursuivi pour complicité avec le tueur. Pour autant, l’attentat de Nice "n’est pas une affaire de loup solitaire. D’ailleurs, il n’y a jamais de loup totalement solitaire", pointe l’avocate.

article par Frédéric Denis paru sur francebleu.fr

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