Ce jeudi, près de cinq semaines après l’ouverture du procès Cannes-Torcy, la cour d’assises spéciale revient sur la genèse de l’enquête, l’attaque à la grenade d’une épicerie casher à Sarcelles.
- Ce jeudi, la cour d’assises spéciale se penchait sur l’attentat contre l’épicerie casher de Sarcelles, en septembre 2012.
- Jérémy Bailly, numéro 2 présumé de la cellule, reconnaît partiellement les faits mais assure n’avoir pas participé à l’attaque.
Jérémy Bailly l’assure, il a découvert l’attaque de l’épicerie casher de Sarcelles, en allumant BFM. « Si j’avais jeté trois grenades ou même tué dix personnes, j’aurais dit que c’était moi. Sur ce point, je suis un bonhomme », fanfaronne le jeune homme de 29 ans, vêtu d’un pull gris et d’un jogging blanc, les cheveux relevés en chignon, devant la cour d’assises spéciale. Elle juge depuis un mois la filière djihadiste dite de « Cannes-Torcy » et se penche ce jeudi sur la genèse de l’affaire, l’attentat à la grenade du magasin Naouri, le 19 septembre 2012, qui n’a miraculeusement pas fait de victime. « J’ai reconnu plein de faits, mais ça, ce n’est pas moi », répète-t-il inlassablement.
« En un seul mot, c’était pour le djihad »
Certes, il n’est pas tombé des nues en allumant la télévision, il connaissaitles intentions terroristes de son acolyte, Jérémie Louis-Sidney, tué lors de son interpellation à Strasbourg. Ce dernier lui avait déjà confié vouloir « tirer des balles dans la tête des juifs ». Il l’avait même aidé à chercher des armes quelques mois auparavant. « Dans quel intérêt ? » l’interroge Philippe Courroye, l’avocat général. « Tirer sur des avocats généraux », lui répond, par provocation – « humour noir », expliquera-t-il plus tard – l’accusé. Une « plaisanterie » à laquelle ne goûte manifestement pas le magistrat qui l’a fait acter. Jérémy Bailly daigne finalement répondre. « Soyez pas bête. En un seul mot, c’était pour le djihad. »
Il reconnaît avoir été le « bras droit » de Jérémie Louis-Sidney, rencontré à la mosquée de Torcy quelques années auparavant. « J’étais H24 avec lui, c’était ma femme. » Il savait bien, ce 19 septembre, en acceptant de lui prêter la voiture qu’il venait de voler, « qu’il y avait un projet terroriste ». « Mais je ne savais ni où, ni quoi ». A l’entendre, Jérémie Louis-Sidney ne savait lui-même pas vraiment ce qu’il allait faire. « J’étais son modérateur, si j’avais été là, je lui aurais dit qu’une épicerie, c’était pas les ennemis de l’islam ». Pourtant, il a accepté de brûler la voiture une fois l’attaque commise. « Sinon, on m’aurait mis ça sur le dos, il y avait mes empreintes partout », argue-t-il. Mais pourquoi son téléphone portable était-il éteint au moment de l’attentat ? Trou de mémoire. Peut-être l’a-t-il prêté à Anas – le surnom de Jérémie Louis-Sidney – comme il le faisait régulièrement, avance-t-il. Et qu’a-t-il fait la matinée de l’attaque ? A nouveau, impossible de s’en souvenir. « Juste le jour où il avait prévu de faire quelque chose d’important, vous restez chez vous ? » s’étonne malicieusement un assesseur.
« Je me suis rétracté parce que j’avais peur »
Sa version des faits est mise à mal par le témoignage de Kévin Phan. Visage poupin, cheveux en brosse et vêtu d’un polo, le jeune homme de 23 ans s’avance vers le micro du box. Depuis l’ouverture du procès, il se tient à l’écart, n’échangeant que très rarement avec les 19 autres accusés. Lors de sa garde à vue et au cours des auditions qui ont suivi, il a d’abord reconnu qu’il était au volant de la voiture ce jour-là, transportant Jérémie Louis-Sidney et Jérémy Bailly, avant de se rétracter. « Balancer, c’est déjà franchir la ligne blanche, mais mentir sciemment… », fulmine Jérémy Bailly. Plus encore, quand ça vient d’un « copain du quartier », « d’un frère de religion ». Pourtant, ce jeudi, devant la cour d’assises spéciale, ce fils de réfugiés politiques cambodgiens « confirme » ses premières déclarations. « Je me suis rétracté parce que j’avais peur, mais j’ai tellement de remords, c’est plus fort », justifie Kévin Phan.
La veille de l’attentat, « Anas » serait venu le voir à la sortie de la mosquée pour lui « demander un service ». Rendez-vous est pris le lendemain matin, il est chargé de les conduire à Sarcelles. « Ils ont pas voulu m’en dire plus sur ce qu’ils allaient faire », assure-t-il. Il se doute pourtant rapidement que ce n’est pas légal : il a dû laisser son téléphone portable et ses effets personnels avant de partir. Il pense d’abord à un car-jacking, puis à un braquage lorsqu’il croit deviner une arme dans un sac. Le trio tourne dans Sarcelles, jusqu’à passer devant l’épicerie Naouri. « Il y avait des gens devant qui avaient une kippa. Il [Jérémie Louis-Sidney] a dit à Bailly "Regarde" », se remémore le jeune homme. Il stoppe la voiture, les deux hommes descendent et reviennent en courant quelques secondes plus tard. Entre-temps, il a « entendu un bruit d’explosion ».
« J’assume tout ce qui s’est passé »
« J’aurais dû me rendre à la police ce jour-là pour dire ce qu’il s’était passé », regrette Kévin Phan. Pourquoi alors a-t-il accompagné, l’après-midi même, Jérémy Bailly pour incendier la voiture qui a servi à l’attaque ? Il assure avoir eu peur de se rebeller contre « ce grand » du quartier. « J’assume tout ce qui m’est reproché », conclut-il. A l’autre bout du box, Jérémy Bailly est rouge de colère. Il continue à nier son implication, restant « bouche bée » devant ces déclarations. Pourtant, lui fait remarquer le président, il pourrait facilement se disculper puisqu’il assure connaître l’identité de l’homme qui apparaît, le visage dissimulé sous une capuche, sur les images de vidéosurveillance. « Balancer, ce n’est pas mes manières », rétorque l’accusé, assurant qu’il n’a « pas de doute sur la dangerosité » de cette personne qui était « sous l’influence » de Jérémie Louis-Sidney au moment de l’attaque.
Le procès est prévu pour durer jusqu’au 21 juin.
Source : 20minutes.fr
Auteur : Caroline Politi
Date : 18 mai 2017