Procès des attentats à Bruxelles : parole aux victimes pour qui "ce n’est pas la fin de l’histoire, mais la fin d’un chapitre"

Il a fallu plus de cinq heures de lecture ce mardi 25 juillet pour clore le procès des attentats du 22 mars 2016, du moins sur le volet de la culpabilité des accusés.

Sur les dix accusés, huit sont condamnés pour participation aux activités d’un groupe terroristes. Voici donc, la fin d’un chapitre douloureux pour les victimes des attentats djihadistes de Bruxelles, qui ont coûté la vie à 35 personnes et ont blessé des centaines d’autres à l’aéroport de Zaventem et dans le métro bruxellois.

Pour les victimes, leurs familles, leurs avocats, ce procès a constitué une étape importante dans leur processus de reconstruction, malgré le fait qu’il ne soit pas encore terminé. Bien que les peines ne soient pas encore connues, le verdict de culpabilité ou d’innocence est déjà très important pour les victimes. En somme, cette prise de parole a permis de mettre en lumière l’importance de ce procès pour la guérison et le cheminement des victimes vers la paix intérieure.

Pierre-Yves Desaive rescapé des attentats de Bruxelles airport : " Ce n’est pas la fin de l’histoire, je crois que ce n’est la fin de l’histoire pour personne, je pense qu’on portera ça toute notre vie, mais c’est au moins la fin d’un chapitre qui était vraiment très long, très douloureux pour tout le monde, ce chapitre du procès, mais c’est vrai que ça apporte quand même un certain soulagement, et maintenant on essaie de regarder vers la suite ".

Patricia Mercier, rescapée du métro : " Ça m’a épuisée, mais ça m’a fait du bien, je ne me sens pas du tout déconstruite, je me sens plutôt bien droite. C’est une histoire collective qui jusqu’à présent était vécue par nous de façon individuelle, et là, il y a tous des morceaux d’histoire dont chacun possédait un morceau, et on a tout remis ensemble, et donc je suis très contente d’avoir assisté ".

Maître Guillaume Lys qui représente V-Europe, une association des victimes : "Je crois que c’est un sentiment général, c’est sept ans d’une vie, sept ans qui ont été extrêmement douloureux pour toutes ces personnes qui ont été victimes des attentats, et je crois qu’elles attendaient que la justice puisse être faite et aujourd’hui elle l’a été. Et ce n’était pas sûr jusqu’au début de ce procès parce que beaucoup critiquaient le choix d’une cour d’assises, le choix d’un procès si long qui s’annonçait avec des incertitudes par rapport au jury, et toutes ces inquiétudes viennent d’être balayées parce qu’on a maintenant un verdict qui, à mon sens, fait justice et fait ce qu’on attendait de la justice, c’est-à-dire de faire œuvre de vérité judiciaire, maintenant on sait ce qui s’est passé, on sait comment ça s’est passé, on sait qui a fait quoi, et ça, c’est le plus important pour elles ".

Des victimes qui saluent le travail des jurés, même si certaines d’entre elles, se disent quand même perplexes parce qu’elles ne comprennent pas que certains accusés puissent avoir été reconnus non-coupables, notamment l’acquittement pour assassinat de Sofien Ayari, pourtant arrêté au même moment que Salah Abdeslam, ou l’acquittement total de Smaïl Farisi, qui a loué son appartement à des terroristes. Reste-t-il aussi une incompréhension de la part des victimes à l’issue du verdict ?

L’avocat Guillaume Lys tempère ce propos : "Alors je ne l’ai pas senti chez mes clients pour être honnête, parce que je pense que ce qui était important pour elles, c’était de révéler les faits d’abord, et ça, ça a été fait, tout a été rencontré, tout ce qu’a révélé le dossier a été discuté par ce verdict rendu hier soir. Effectivement après il y a la question de l’habillage juridique, parce que vous parlez d’acquittement, mais c’est acquittement pour une prévention d’assassinat, l’étiquette de terroriste reste, et ça, c’est important aussi de montrer qu’une cellule qui a frappé Bruxelles comme elle l’a frappé, c’était plusieurs personnes, pas seulement une seule qui était isolée, ou seulement les kamikazes comme c’était un discours qu’on avait tendance à entendre. Donc on a révélé l’existence de cette cellule, et je crois que c’était ça qui était important pour elles ".

Maître Lys complète son propos pour saluer la dignité des victimes et de leurs familles : "Je tiens tout d’abord à rendre hommage à la dignité dont elles ont fait preuve pendant ces sept mois, parce qu’il faut parfois se mettre un peu à leur place, ça fait sept ans qu’elles souffrent, et il y avait encore ce procès qui venait avec le fait de devoir revivre tout ce malheur qui les a traversés pendant toutes ces années, et on n’a pas entendu dans leur chef une seule parole de haine, un seul mot de colère, elles sont venues avec la plus grande dignité témoigner à ce procès ".

Le pardon comme moteur de reconstruction

La question du pardon est revenue à plusieurs reprises dans les témoignages des victimes. Pour certaines d’entre elles, ce chemin était impossible à prendre car pour pardonner, il faut se rejoindre dans une démarche commune. Il y eut des prises de parole parfois très dures comme celle de Jesca Van Calster, la fille de Fabienne Vansteenkiste, décédée à l’aéroport : "Je ne pardonne pas. Pour moi, ils peuvent aller en enfer".

Durant ce procès, d’autres victimes se sont tournées vers les accusés et leur ont offert leur pardon "pour ne plus vivre dans la peur d’autrui", pour pouvoir se reconstruire. Parmi ces victimes, on retiendra la longue prise de parole de Sébastien Bellin, ancien basketteur professionnel, gravement blessé à l’aéroport. Après avoir évoqué l’amour et l’humanité qui l’entourent depuis le 22 mars 2016, il s’était tourné vers les accusés et leur a adressé ces mots : "Je vous tends la main avec la puissance du pardon. Je suis prêt à vous aider puisque le pardon sera, pour vous, la différence entre pourrir en prison ou guérir".

Maintenant que le verdict de culpabilité est connu, l’avocat de V-Europe, précise : " Il y en a qui ont demandé le pardon, il y en a qui ont dit beaucoup de choses, qui ont toujours été vers une sorte de volonté de tendre la main vers l’autre, et ça, je pense que c’est vraiment ce qu’il faut essayer de retenir de ce procès, c’est que dans ces difficultés hors normes qu’elles ont vécues, elles ont gardé cette part d’humanité en elles et cette part de dignité. Et je pense que lors de l’annonce du verdict, quand on a entendu des acquittements pour partie, etc., il n’y a eu aucune réaction de leur part, parce que tout ce qu’elles voulaient, c’était que justice soit faite, et elles vont accepter cette justice telle qu’elle est faite, et ça, c’est quelque chose qui me semble être extrêmement primordial ".

Une justice citoyenne saluée

Pour juger les dix accusés, cinq hommes et sept femmes. Lors des premières audiences, plusieurs défections parmi le jury avaient fait craindre le pire. Malgré ces inquiétudes, plusieurs habitués des procès d’assises se voulaient rassurants. Force est de constater qu’ils avaient raison. Même si la tâche fut lourde, les jurés ont montré qu’ils avaient les épaules solides. Lors des plaidoiries des parties civiles comme de la défense, de nombreux avocats ont d’ailleurs souligné leur concentration, leur implication et les questions souvent intelligentes qu’ils ont posées. Guillaume Lys acquiesce : " Je suis tout à fait d’accord avec ça et puis pensons aussi à ces jurés, ça fait 18 jours qu’ils n’ont plus vu leur famille, leurs enfants, pour pouvoir se consacrer à une tâche citoyenne, certes, mais donc il faut quand même mesurer la part d’investissement et je crois qu’on est tous d’accord pour dire qu’ils ont bien mérité un peu de repos ".

Fin d’un chapitre, mais pas fin de l’histoire

Guillaume Lys rappelle que pour les victimes, "le problème c’est qu’en fait tout n’est pas fini, parce qu’il y a encore toute cette question des indemnisations qui n’est pas encore réglée pour celles qui ont été le plus gravement blessées, et donc effectivement c’est un chapitre qui se clôt, mais l’histoire n’est malheureusement pas encore terminée ". Celui-ci complète son propos en tant qu’avocat : " Je pense qu’on est content d’avoir pu mener ce paquebot jusqu’au bout, parce que beaucoup en ont douté, beaucoup nous ont dit que ça n’irait jamais jusque-là. Et je pense qu’on a fait un travail collectif tant au niveau de la défense qu’au niveau des parties civiles, avec évidemment l’aide de la Cour, pour faire en sorte que tout aille bien, et que les débats se tiennent de manière sereine. On y est arrivé, maintenant on est un petit peu fatigué, je pense que ça se voit sur nos mines, mais en tout cas, on a fait le plus possible pour y arriver, et je pense que de cela on peut être fier, et on en sera fier dans quelques mois quand on regardera dans le rétroviseur".

L’avocat, précise également : "On se sera marqué à vie par ce qui s’est passé, par ce qui s’est dit surtout, on a des paroles qui restent en tête et malheureusement quand on rentre chez nous, même si on tente de s’en distancer, ça nous suit encore dans notre esprit et il faut les garder, il faut essayer de faire en sorte que justement plus jamais cela n’arrive. Nous, c’était ça notre volonté, faire en sorte qu’on puisse se dire à la fin de ce procès le terrorisme, c’est une voie sans issue et ça, je pense qu’on y est arrivé ".

Article écrit par Olivier Arendt et Laurent Van de Berg publié sur :
https://www.rtbf.be/article/proces-des-attentats-a-bruxelles-parole-aux-victimes-pour-qui-ce-nest-pas-la-fin-de-lhistoire-mais-la-fin-dun-chapitre-11232883

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