PROCÈS DES ATTENTATS DU 13 NOVEMBRE 2015 I J5 : AUDITION DE LA JUGE D’INSTRUCTION BELGE CE JOUR AVANT LES DECLARATIONS SPONTANEES DES ACCUSES SUR LES FAITS PREVUES DEMAIN

L’audience débute à 12h45 ce jour.

C’est au tour du deuxième témoin de prendre la parole, une juge d’instruction belge Mme Isabelle Panou, qui va exposer les 5 ans d’instruction, le volet belge de l’enquête et les investigations.

A titre introductif, elle rappelle sa compétence territoriale et son obligation de respecter la loi belge.

Ce dossier est, selon elle, celui où la collaboration internationale a le plus abouti, notamment entre la France et la Belgique.

Après être revenue sur certains des accusés (Oussama Atar, Ibrahim Elbakraoui, Khalid ElbakraouI, Najim Lachraoui), elle s’attarde sur une présentation de la commune de Molenbeek, l’une des 19 communes de la ville de Bruxelles. Elle fait une description et un état des lieux de Molenbeek, territoire de seulement 6km2, tout en prenant le soin de préciser par honnêteté intellectuelle qu’elle ne prétend pas livrer une analyse sociologique de ladite commune.

Elle aborde ensuite la manière dont l’enquête a évolué et comment ont travaillé les enquêteurs belges. Elle explique qu’ils ont investigué par volet, avec le volet cache, le volet voiture faux document (tout ce qui a été fait bien avant que les accusés arrivent sur le territoire national), le volet des passeurs, et le volet des armes.

Le volet des armes est d’une particulière difficulté car il y a beaucoup d’intermédiaires, et on peut ainsi trouver l’ADN d’une personne sur une arme sans que la personne n’ait eu connaissance qu’elle l’ait vendue à quelqu’un projetant un acte terroriste.

Elle se penche durant un long moment sur la coopération internationale, soulignant les problèmes de traduction et les pays avec qui cette coopération fut plus facile que d’autres (elle évoque la Hongrie, la Suède, la Tunisie, l’Angleterre).

Elle s’attarde ensuite sur certains profils, comme celui Mohamed BakkalI, Yassine Atar, Ali EL Haddad Asufi, Abdellah Chouaa. Elle souhaite également aborder le parcours de 3 personnes décédées : Chakib Akrouh, Bilal Hadfi et Brahim Abdeslam.

Pour Mohammed Amri, dit « le pur », elle trouve ses justifications un peu légères au regard du dossier. S’agissant d’Ali Oukaldi, elle précise qu’il a toujours clamé son innocence et revient sur son ADN trouvé sur une fourchette en indiquant : « Je n’en ai pas eu beaucoup dans ma carrière, de transferts d’ADN ! ». .
Concernant Salah Abdeslam, elle évoque sa radicalité, qui, pour elle ne fait aucun doute. A propos de Mohamed Abrini, « l’homme au chapeau », « l’homme des attentats de Bruxelles », elle précise que pour elle c’est également « l’homme des attentats de Paris ». Elle explique à la Cour qu’elle ne trouve absolument pas crédibles les propos de l’accusé qui jure ne pas avoir fui Paris en pleine nuit pour rejoindre Bruxelles.
Quant à Osama Krayem, elle dénonce son explication de déplacements pour faire de l’humanitaire en la considérant non valable.
Enfin, s’agissant de M. Ayari, elle s’interroge sur les raisons ayant poussé un jeune homme qui était « aux portes de l’université » vers le djihadisme. Elle précise d’ailleurs que les questions concernant son cas restent en suspens et qu’il est difficile d’obtenir des informations de sa part, puisque ce dernier n’est guère bavard.

Après cet exposé, le Président tient à revenir sur la possibilité pour les enquêteurs belges, contrairement à leurs homologues français, d’interroger à nouveau eux-mêmes les mis en examen. La juge répond que les accusés sont entendus en présence de leur avocat, qu’il s’agit d’une obligation légale depuis une loi prise suite à l’arrêt de la CEDH Salduz.

Le Président demande ensuite à la juge pourquoi l’ordinateur découvert dans la poubelle située rue Max Ross a été abandonné si négligemment alors que les informations qu’il contient sont essentielles. La juge d’instruction n’a pas d’explication à apporter au Président, répondant qu’il est difficile pour elle se de mettre dans l’état d’esprit des terroristes.

Le Président la questionne également sur la procédure belge d’anonymisation des policiers devant la Cour d’assises belge. Celle-ci indique qu’une procédure existe mais qu’elle n’est que trop peu utilisée et que l’habitude n’a pas été prise par la justice de son pays, y compris par elle. Elle explique ce constat par le fait qu’il y a peu de procès pour terrorisme en Belgique et que les contacts entre juge d’instruction et enquêteurs se font « toutes les minutes ». Elle explique que jusqu’à présent, elle n’a appliqué cette procédure que dans deux affaires.

Les assesseurs cherchent aussi à en savoir plus sur les modes de financement de ces attaques terroristes. La juge d’instruction indiquera que ces attentats ont été financés par des infractions de droit commun (stupéfiants, trafics d’armes, etc) sans pouvoir toutefois en dire beaucoup plus. Elle précisera que les terroristes avaient de gros moyens financiers : toutes les voitures étaient louées en liquide et les loyers des caches pouvaient parfois être payés pour trois ou quatre mois d’un seul coup.

Interrogée par l’avocat général sur sa carrière en tant que juge, cette dernière indiquera que la spécialisation des magistrats n’existe pas en Belgique mais qu’elle est magistrate instructeur depuis 2003 et qu’elle gère des dossiers terroristes depuis 2007.
L’avocat général reviendra sur le rôle de l’imam Bassam Ayachi et de la fermeture du centre islamiste belge (CIB) par la décision de la Cour d’appel. Mme Panou parlera de Khalid Zerkani, et de sa « vraie capacité d’endoctriner ».

Le Président donne la parole aux avocats des parties civiles. Me Didier Seban est le premier à parler et à questionner la magistrate belge : « Pourquoi la France ? ». Elle répond en invoquant la politique française qui est souvent mise en cause et le fait qu’il s’agisse d’une grande nation au point de vue international. Dans la foulée, elle revient sur le fait que les attentats du 13 novembre 2015 auraient pu être plus meurtriers encore, car le métro et l’aéroport Charles de Gaulle avaient été envisagés pour cibles. Elle répond à l’avocat sur la situation d’Ahmed Dahmani, qui s’était enfuit au lendemain des attentats en Turquie, est actuellement détenu dans ce dernier pays après y avoir été condamné en 2016 à dix ans d’emprisonnement pour trafic de migrants sur son sol. Seul individu jugé par défaut encore vivant, la France a réclamé qu’il lui soit sans remis, sans succès. La juge d’instruction belge explique qu’elle était impuissante et que le dialogue qu’elle avait essayé de mettre en place dans un cadre de coopération internationale ainsi que la présence d’un officier de liaison en Turquie, fait inhabituel pour l’Etat belge, n’avaient en l’espèce pas étaient suffisants. Interrogée à ce sujet, la juge belge indique que les armes de guerre sont facilement accessibles pour les criminels et qu’il n’y a pas de lutte efficace contre le terrorisme sans lutte contre la criminalité de droit commun.

Un autre avocat de parties civiles prend ensuite la parole et entre en friction avec le Président. Il interroge Mme Panou sur l’éventuelle transmission d’un rapport du comité permanent de contrôle des polices, à savoir l’équivalent belge de l’IGPN, mais en plus neutre selon l’avocat. Le Président rappelle à l’ordre l’avocat en lui précisant qu’il viole le principe du contradictoire puisque le rapport de 82 pages, déjà demandé par le juge Teissier à l’époque mais refusé au motif du secret défense, n’est pas au dossier pénal. L’avocat s’écrit alors : « Puisque que personne ne le connait, le principe du contradictoire est respecté ! », ce à quoi le président rétorque « Ah c’est une drôle de conception du respect du principe du contradictoire ».

Me Chemla, avocat de parties civiles et de la FENVAC, interroge quant à lui la juge d’instruction belge sur l’interrogatoire de Brahim Abdeslam de mi-février 2015 qu’il juge trop succinct au regard de l’existence de sérieux éléments à charge comme des liens Facebook avec Abdelhamid Abaaoud sur son GSM ou encore une invitation de ce dernier à le rejoindre sur zone et une réponse de sa part. La juge concédera que cet interrogatoire est léger mais se défendra en invoquant qu’elle est saisie le 14 novembre et que les faits antérieurs ou postérieurs à cette date n’entrent pas dans sa saisine et qu’elle n’était donc pas compétente.
Me CHEMLA s’étonne ensuite qu’Abaaoud ait échappé à la justice belge ; ce à quoi la juge d’instruction belge répond que la difficulté est de localiser une personne, avant d’ajouter qu’en tant que juge elle n’est pas en lien avec les services de renseignement. Elle conclue en précisant qu’Abaaoud échappait également aux français et aux grecs en raison du principe de la libre circulation en Europe et de l’utilisation de « vrais faux » documents. Enfin Me CHEMLA expose avec transparence sa crainte de voir certains individus non jugés en France mais en Belgique non condamnés sévèrement et mis hors état de nuire. La juge indique : « En Belgique ça sera des peines correctionnelles et non pas d’assises. Vous avez la position du parquet fédéral, la décision est définitive car pas frappée d’appel, c’est dans le dossier ».

La parole est enfin donnée à la défense. Le premier avocat à prendre la parole est l’avocat de Mohamed Bakkali. Sera abordée la question des critères utilisés par la juge d’instruction pour décider de la durée des auditions des accusés par ses soins, puisque le système juridique belge permet que le juge d’instruction auditionne les mis en examen. L’avocat indique que M. Bakkali a été très peu entendu (35 minutes) alors que d’autres accusés seront entendus sept ou huit fois d’après lui. La juge expliquera que c’est à la discrétion du juge belge et que la loi belge n’impose aucune durée ou aucun délai. Elle répondra à l’avocat sur le fait qu’il n’est pas banal, mais pas extraordinaire non plus qu’un suspect se livre aux forces de l’ordre.

A la toute fin de la journée, le Président Jean-Louis Périès, après avoir remercié la juge d’instruction belge pour sa disponibilité, informe qu’il a pour projet de donner la parole aux accusés le lendemain en début d’après-midi pour qu’ils fassent état de leur positionnement global sur les faits qui leurs sont reprochés. Le Président précise bien qu’il s’agirait de déclarations spontanées et non d’un interrogatoire, et qu’il ne s’agit en tout état de cause d’une obligation procédurale mais d’une simple faculté laissée aux accusés. Des avocats de la défense, inquiets de cette information tardive ont questionné pendant quelques minutes le Président sur les modalités de ces prises de parole et ont regretté d’avoir été informés avec si peu de délai, ce à quoi le Président a expliqué qu’il n’en avait eu l’idée qu’à l’instant.

L’audience est levée à 19h31 pour une reprise le lendemain à 12h30.

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