PROCES DES ATTENTATS DU 13 NOVEMBRE 2015 I J7 : DES ENQUÊTEURS AGUÉRRIS ENVAHIS PAR L’ÉMOTION DEVANT « DES SCENES DE GUERRE »

Il est 12h56 quand le Président de la cour ouvre l’audience et appelle le premier témoin à la barre. Après s’être présenté, ce commissaire stagiaire à l’école de police obtient l’autorisation du Président pour consulter ses notes et diffuser des supports visuels. Il est à la barre pour décrire son intervention le soir du 13 novembre 2015 au Stade de France, en tant que commandant de groupe de la brigade criminelle. En séquençant son propos sur la base des lieux des trois explosions (porte D à 21h16, porte H à 21h20 puis rue de la Cokerie à 21h53) et en s’appuyant sur des photos, il décrit le balayage de la zone une fois les scènes de crime figées pour réaliser les constations.

D’abord, il est question de l’identification des corps. Ces opérations ont été réalisées par l’analyse des corps et éléments de corps retrouvés sur place. Un passeport syrien, sans visa, sera retrouvé au pied droit du premier kamikaze ayant activé sa charge explosive devant la porte D. Il s’agit de Ahmad Al-Mohammad. Il ajoute qu’à côté, sera retrouvé le corps de Manuel COLACO DIAS, 63 ans, l’unique victime décédée au Stade de France. Ce conducteur de bus de supporters sera immédiatement identifié grâce à ses papiers d’identité portugais. Un second passeport syrien pourra ensuite être reconstitué grâce aux débris recueillis près de la porte H, il s’agira de celui de Mohammad Al Mahmoud.

Après la description des vêtements portés par les kamikazes dont des parties de tissus seront retrouvées sur place ainsi que le visionnage de photographies montrant les 3 individus aux abords de la porte D, l’enquêteur explique que la priorité était au recueil des substances volatiles (écrous, plastiques, etc.). Des cordelettes, des écrous, des éléments de pile, des fils noirs et rouges, ainsi qu’un bouton poussoir ont notamment été retrouvés et les images des scellés sont projetés. Ils constituaient des engins explosifs improvisés dont le rayon de dispersion pouvait atteindre 50 mètres. L’enquêteur projette des photos des véhicules stationnés rue de la Cokerie sur lesquels des impacts ou des orifices sont nettement visibles, il insiste à plusieurs reprises sur le pouvoir vulnérant des explosifs utilisés.

Ensuite, le Président projette des extraits de vidéos issues des caméras de surveillance aux abords du Stade de France sur lesquelles les trois kamikazes apparaissent. On voit notamment, après la 1ère explosion, le 2nd membre du commando passer de groupes en groupes avant d’activer sa charge explosive alors qu’un passant s’approchait de lui en courant. Le 3ème kamikaze se fera exploser à 21h53 à quelques 150 mètres du Stade, après être descendu dans la gare RER de la Plaine Saint-Denis pour en remonter quelques minutes plus tard. C’est finalement, rue de Cokerie, devant un attroupement formé par des clients du Macdonald qui avaient été priés d’évacuer les lieux qu’il déclenchera l’explosion.

Le Président demande au témoin son interprétation du décalage entre les deux premières explosions et la troisième qui a lieu plus tard et plus loin du Stade de France. D’après l’enquêteur, le 3ème individu semble visiblement être à la recherche d’une cible comportant un grand nombre de personnes et c’est sans doute la raison pour laquelle il a attendu jusqu’à trouver le groupe réuni aux abords du Macdonald.

Enfin, Les avocats des parties civiles cherchent à comprendre pourquoi les terroristes, alors qu’ils auraient pu faire plus de dégâts humains en ce soir de match, sont arrivés si tardivement, sans billets. L’enquêteur répond qu’ils ont certainement étaient pris dans le trafic puisqu’à 20h21 leur téléphone bornait à Bobigny. S’agissant de l’absence de billets, il n’a pas de réponse.

Aux abords du Stade de France, ce sont 143 personnes qui seront blessées par les explosions.

Après une suspension d’audience, le second témoin de la journée est appelé à la barre par le Président. Il souhaite préserver son anonymat conformément aux dispositions du code de procédure pénale. Il se présente comme Commandant de groupe de la brigade criminelle, Il était chargé des constatations au Carillon et au Petit Cambodge ce soir-là. C’est avec la gorge serrée, les yeux rouges et les mains tremblantes que cet enquêteur décrit l’état de sidération dans lequel lui et ses collègues ont été plongés en arrivant sur les lieux à 23h00.

En diffusant une photo panoramique prise depuis la rue sur laquelle figure à droite le Carillon et à gauche le Petit Cambodge, il présente la scène de crime qu’il requalifie de « scène de guerre » : 13 personnes décédées, des compresses, du matériel médical laissé sur place, « un enchevêtrement de corps », le devoir de mettre de côté leurs émotions pour appliquer toute leur expérience et leur professionnalisme. Il diffuse un plan de la zone sur lequel figure la position des corps des victimes.
Un silence pesant règne dans la salle qui semble s’être remplie depuis quelques minutes. Avocats, parties civiles, journalistes, tous, ont les yeux rivés sur les écrans alors que le témoin commence à décliner l’identité de chaque victime figurant sur ce plan : Amine Ibnolmobarak, Sébastien Proisy, les sœurs : Anna Petard Lieffrig et Marion Petard Lieffrig, Raphael Hilz, les sœurs jumelles Charlotte et Émilie Méaud, Asta Diakité, Alva Berglund,Stella Verry et Justine Moulin. En prononçant le nom de Chloé Boissinot, l’enquêteur semble perturbé. Il présente des excuses spontanées. Il dit assumer l’entière responsabilité de l’erreur d’identification commise la concernant. Il explique que la priorité, sur place, était d’identifier le plus formellement possible les victimes. Pour ce faire, les effets personnels trouvés sur place sont utilisés. S’agissant de Chloé, il a utilisé les documents d’identité qui semblaient être les siens mais qui étaient en réalité ceux d’une victime blessée qui avait laissé son sac à main sur place. Face aux images dans lesquels les corps des victimes ne sont jamais apparus, il poursuit la description du mode de constatation en soulignant la quiétude dans laquelle ils ont pu travailler. Tout le périmètre avait été fermé, les conditions de travail étaient bonnes. Ému, ce dernier ajoute « la seule chose qui venait nous sortir de notre travail c’était les téléphones portables des victimes qui sonnaient. ».
Une fois les identifications réalisées, les enquêteurs ont procédé au recueil des éléments balistiques : 121 douilles percutées ont été relevées. Le témoin précise que des victimes ont pu être visées plusieurs fois par les Kalachnikovs, l’une d’entre elles présentaient 36 orifices. Ces chiffres permettent de constater l’extrême violence de cette attaque pour laquelle les témoins ont évoqué trois individus descendus d’un véhicule SEAT. Il leur aura fallu 2min30 pour vider plusieurs chargeurs, et en perdre un intact en quittant les lieux.

Les avocats des parties civiles demandent des précisions à l’enquêteur pour les parties civiles qu’ils représentent qui sont en attente de réponse. « Des balles ont-elles bien été tirées en direction de l’intérieur du Carillon ? », « le camion de pompiers présent pour une mission d’aide aux personnes avant les faits dans la rue perpendiculaire était-il spécifiquement visé ? » Des interrogations qui ont pu être partiellement levées grâce aux réponses de l’enquêteur. Preuve de l’utilité de ces débats pour la reconstruction des victimes et des proches de victimes, passée la violence de la réalité dans laquelle ils sont et vont être replongés au cours de ce procès.

Le troisième et dernier témoin est appelé à la barre par le Président. Il bénéficie également du statut de témoin anonyme et se présente comme étant le Commandant de la Brigade criminelle ayant réalisé les constations des scènes de crime au bar « La Bonne Bière » et au restaurant « Cosa Nostra ». A titre liminaire, il explique que les constations ont été longues à mettre en place par risque de la présence sur place d’un terroriste. Des membres du RAID ont sécurisé cette zone à 2h30 du matin.

Il a été établi au regard des éléments de preuve et des différents témoignages qu’à 21h30 un véhicule noir est descendu de la rue du Faubourg du temple. Trois individus en sortaient et ouvraient le feu ; deux d’entre eux sur la terrasse de « La Bonne bière » et le dernier sur la terrasse du « Cosa nostra ».
Il rappelle que l’attaque au causé la mort de 5 personnes : Nicolas DEGENHARDT, Lucie DIETRICH, Elife DOGAN, Milko Pierre JOZIC, Kheir Eddine SAHBI. Au moment de ses constations, huit personnes étaient dans un état d’urgence absolue et onze dans un état moindre.

Il explique que les enquêteurs ont commencé par identifier les personnes décédées à l’aide des témoins, des vidéos, des photos. La scène a notamment pu être reconstituée grâce à l’exploitation de plusieurs points de vidéos de surveillance dans cette zone. Devant la violence inouïe de ces fichiers, le Président, aidé des avocats de parties civiles et des psychologues, a laissé le temps aux personnes le désirant de sortir avant les visionnages.
La première vidéo est issue d’une caméra située dans l’angle d’une rue à proximité de « La Bonne bière ». Elle filme en continue l’attaque (56 secondes). On n’y voit à 21h26, l’arrivée d’un véhicule noir, trois personnes en descendent. Deux vont en direction de la terrasse de « La Bonne bière ». Pour le troisième, on voit des étincelles laissant supposer qu’il est en train de tirer. Sur le plan suivant, un passant se tourne puisque la scène continue et va essuyait des tirs.
S’agissant la seconde vidéo, elle filme l’intérieur du restaurant « Casa Nostra ». Il est constaté l’arrivée des individus avec des tirs sur les terrasses.

Le commandant s’appuie ensuite sur des photos et les plans des terrassasses montrant les conséquences tragiques de l’attaque. Sur l’ensemble de la zone, il va notamment être retrouvé 83 étuis de balle. Il précise que d’autres points au niveau des quais ont été la cible des tirs.
Sur l’ensemble des 203 scellés réalisés, 111 munitions ont été relevées (46 ogives). Le véhicule retrouvé immatriculé en Belgique contiendra à l’intérieur trois pistolets mitrailleurs. Enfin il est retrouvé les trois armes (de type fusil d’assaut) qui ont tiré sur la scène.

A la question du Président sur le nombre d’individus sortant du véhicule noir, le commandant confirme que l’ensemble des constations réalisées confirme la présence sur place de trois auteurs qui sont tous descendus de la voiture et tous remontés à l’intérieur après l’attaque. Les témoignages recueillis permettent notamment d’identifier M Abdhelhamid Abaaoud sur place.

Pendant son exposé, il est ressenti une émotion forte de la part du Commandant. A la suite d’une question des avocats de parties civiles, il explique que les victimes étaient toutes innocentes, juste en train de passer le vendredi soir en terrasse. Il n’a pas été établi de lien avec les auteurs de cette tuerie ; si bien que tout le monde aurait pu se trouver sur ces terrasses.

Nous soutenir

C’est grâce à votre soutien que nous pouvons vous accompagner dans l’ensemble de vos démarches, faire évoluer la prise en charge des victimes par une mobilisation collective, et poursuivre nos actions de défense des droits des victimes de catastrophes et d’attentats.

Soutenir la FENVAC

Ils financent notre action au service des victimes