PROCES DU 13 NOVEMBRE 2015 I J10 : LES PREMIERS POLICIERS ARRIVES AU BATACLAN RACONTENT COMMENT DANS LE CHAOS ILS ONT PU SAUVER DES VIES

La journée du 22 septembre est consacrée à deux auditions. Celle du : le commissaire de la BAC (Brigade anti-criminalité) ainsi que celle du chef la BRI (Brigade de recherche et d’intervention). Tous deux sont entendus en tant que parties civiles, et non comme témoins. Ils n’étaient donc pas obligés de déposer mais ont expliqué avoir tenu à le faire. Tous deux ont raconté avec précision et exhaustivité leur intervention au Bataclan.

En propos liminaires à sa déposition, le Commissaire de la BAC déclare : « Je souhaite avoir une pensée pour les victimes et pour les proches des victimes décédées, à qui je souhaite dire que nous avons fait le maximum que nous puissions faire et que nous sommes allés au-delà de nos capacités opérationnelles. Nous aurions voulu sauver plus de vies. Ce poids accompagne les policiers depuis. Tous les jours ». Il dit ensuite avoir une pensée pour les policiers intervenus ce soir-là, à la fois pour ceux intervenus sur la totalité des scènes de crimes, mais aussi les opérateurs radios qui ont eu à diriger les fonctionnaires de police, les opérateurs radios qui ont été souvent les premiers interlocuteurs et parfois malheureusement les derniers (des victimes appelant et décédant peu de temps après). Il a également une pensée pour ses hommes de la BAC nuit qui ont risqué leur vie pour sauver les victimes. Il est fier d’avoir été à leur tête. La seule satisfaction qu’il a eu ce soir-là, c’est de ramener ses hommes tous vivants à leur famille.

Accompagné de son chauffeur, ils ont été les premiers à intervenir. Il décrit alors une scène de chaos : des corps qui gisent à l’extérieur, un sentiment de sidération, mais l’aspect professionnel qui revient rapidement. Moins d’une minute après la descente de leur véhicule, les portes principales du Bataclan s’ouvrent d’un coup et une masse compacte d’une trentaine de personnes s’enfuient et hurlent devant eux. De ça, il dit en « garder en tête un visage et une voix » : « Le visage d’une femme, châtain clair, totalement prostrée, qui a la terreur sur son visage qui s’enfuit les larmes aux yeux ». La voix, « celle d’un homme qui nous dit « vite ! vite ! dépêchez-vous ! il y a ma femme à l’intérieur ! » ».

Tous deux, uniquement dotés de leurs armes de poing et de gilets pare-balles légers, décident d’entrer dans le Bataclan. Pour lui, la question depuis les attentats de janvier 2015 n’était pas de savoir si un autre attentat allait avoir lieu, mais quand.

Ils ne connaissent pas la configuration des lieux mais ils ont une certitude : il y a des terroristes à l’intérieur en train de massacrer des innocents avec des armes de guerre.
Le commissaire de la BAC décrit alors ce qu’il voit : « Aucun mot ne peut décrire ce qu’on a vu ce soir-là. Un « tapis » de corps, les gens s’étaient jetés les uns contre les autres. Des corps enchevêtrés. Parfois sur plus d’un mètre de hauteur ».

Rapidement après leur entrée, ils parviennent à abattre un terroriste, qu’ils identifieront plus tard comme étant Samy Amimour, qui ordonnait à une personne de s’agenouiller devant lui. Pensant que le terroriste allait exécuter cette personne, ils tireront sur Samy Amimour, qui, blessé au sol, se fera exploser, engendrant alors une « sorte de crépitement et une pluie de confettis, qui s’avèrera être de la chair humaine ».
Immédiatement, lui et son co-équipier essuient des tirs dans leur direction sans qu’ils puissent identifier leur origine. Ils s’abritent comme ils le peuvent, derrière des pilonnes. « Comme par reflexe, on a pris quelques secondes pour dire au revoir à nos proches. Pour nous, on allait mourir à ce moment-là. Notre dernière heure était venue ».

A un moment, les tirs s’arrêtent. Le chef de la BAC sort alors pour faire la jonction avec les renforts de la BAC arrivés. Et à ce moment-là, les portes en bois s’étant refermées, une ombre rasante apparait sous ces portes avec des bruits de pas (bruits de verre), un chargeur de kalachnikov tombe au sol et un bruit de culasse qui claque (bruit de rechargement que tout policier connait). Alors que cette ombre disparait et part sur la gauche, une personne parvient à sortir et ramper jusqu’aux policiers de la BAC : un commissaire de police de profession, venu assister au concert, qui n’arrive plus à marcher. Il dira alors aux policiers que les terroristes sont trois en tout, avec des armes de guerre.

Quelques instants après, ils entendent des coups de feu éloignés : le chef de la BAC comprend que les terroristes finissent leur besogne et achèvent les gens au coup par coup. Il décide alors de re-rentrer : « Cette fois ci, on savait ce qu’il y avait derrière. En tant que commissaire de police, j’avais la responsabilité de mes collègues qui pour la plupart étaient pères de famille. Ils m’ont tous suivi avec un courage admirable ».

Ils reprennent alors position en refranchissant les portes en bois et essuient de nouveaux coups de feu. Le commissaire décide alors de maintenir la position en attente. « Ensuite, ça été le moment le plus pénible et le plus long : nous avions pris position mais nous ne pouvions plus avancer : nous n’avions que notre courage, pas de protection. Une porte sur la gauche donnait au premier étage, mais à un moment donné, je me disais qu’il était suicidaire d’aller au-delà, c’est au-dessus de notre capacité d’intervention ».

« On sentait que la mort se propageait parmi les gens, les gens mouraient devant nous. C’était dur à vivre, ils étaient à quelques mètres, mais on ne pouvait rien faire. On ne savait pas où étaient les terroristes. On avait essayé d’attirer l’attention sur les terroristes mais si on allait plus loin, on risquait de blesser les victimes et de se faire tuer ».

Le chef de la BAC explique qu’après plusieurs allers-retours entre le Bataclan et l’extérieur, il voit la BRI arriver. Il échange avec ces renforts change le peu d’informations qu’il a. Il ne sait pas si les terroristes sont toujours à l’intérieur, car au bout d’un moment, il n’y avait plus de tirs.

Le reste de la BAC nuit arrive ensuite en renfort, avec de l’équipement lourd : fusils à pompe, casques balistiques, etc. Le chef de la BAC revient sur les mots échangés avec ses hommes : « Je les ai regardés, je leur ai dit « On va rentrer et quoiqu’il arrive, on ne recule pas ». Ils sont tous rentrés avec moi, avec un sens du devoir extraordinaire ».

La BAC sera alors en charge d’extraire les blessés et les valides : « On a tiré le premier jeune homme, je me souviens de son visage. Les victimes étaient très lourdes car le sang avait imprégné leurs vêtements ». Le chef de la BAC précise qu’ils devaient être deux ou trois à chaque fois pour porter les victimes ; en comptant leur équipement à eux aussi qui était lourd

Ses collègues faisaient ensuite des allers-retours pour faire un pont de triage au niveau du vestibule. Ces opérations ont duré toute la soirée et le flux s’est accéléré. « Les gens se sont mis à sortir de plus en plus rapidement pour les valides et les invalides, nous les secourions ».

Le chef de la BAC explique que certaines d’entre elles les remerciaient et d’autres leur en voulaient, leur demandant pourquoi ils avaient mis autant de temps. « Je retiens une parole, celle d’un homme qui m’a dit : « merci grâce à vous, je vais revoir mes enfants". Ça nous a tous marqué, surtout quand on est père de famille ».

Celui-ci finira sur ces mots : « Ensuite, l’assaut a été donné. Nous avons été vers 23h30 libérés du service avec mes effectifs. Je les ai regroupés sur la voie publique et on a rejoint notre base ensemble. On a discuté et on s’est réconfortés ; et au petit matin, chacun est rentré chez soi. Et on a ensuite essayé de revivre comme avant ».

Il salue le courage de ses hommes Il dira que la seule satisfaction qu’il aura eue ce soir-là c’est de tous les ramener vivants à leur famille.

Le Président de la Cour affirme être sûr que son intervention a sauvé beaucoup de vies. Nombre d’avocats de parties civiles saluent son courage exemplaire, ainsi que celui de son co-équipier d’être entrés dans le Bataclan dans ces circonstances.

La deuxième audition est donc celle du chef de la BRI, qui après un exposé sur le fonctionnement et l’histoire de la BRI, revient en détail sur les circonstances de son intervention et celle de ses hommes le soir du 13 novembre 2015.

Un chiffre effroyable dans sa déposition retient l’attention : le soir du 13 novembre, c’est 8 sites attaqués en 33 minutes.

Il mentionne également d’autres éléments afin de bien faire cerner les difficultés de la situation en raison de la typologie des lieux. Le Bataclan est un vieux théâtre construit au milieu du 19ème siècle. Il y a deux étages, un sous-sol, des combles. C’est un bâtiment beaucoup plus difficile qu’un bâtiment moderne qui aurait des issues de secours bien déterminées. Le Bataclan, c’est 10 000m2. C’est beaucoup à couvrir. C’est aussi une occupation maximale de presque 1700 personnes.

La BRI arrive vers 22h20. Elle est informée que les terroristes ont pénétré dans la salle de spectacle, avec un tir nourri de longues minutes sur le public, et que par la suite, leurs collègues de la BAC nuit étaient rentrés dans le théâtre et avaient abattu un terroriste. C’est t cette séquence qui a fait cesser les tueries. « Je souligne le courage de nos collègues. Ce n’était pas un groupe d’intervention équipé. C’était extrêmement courageux et héroïque ».

Ils découvrent une scène à laquelle on ne peut jamais être préparé. Une centaine de personnes : des morts, des blessés, des valides, qui ne bougeaient pas ; « une odeur de sang qui prend à la gorge et une odeur de poudre ». Ils comprennent rapidement en croisant des regards et des rauques qu’il y a encore beaucoup de vivants. Ils constatent qu’il n’y a aucun coup de feu ; il confirme l’information donnée par la BAC nuit : aucune signe ne permettant de savoir où étaient les terroristes.

Il faut alors secourir les victimes rapidement, « avec la BAC nuit qui nous assistait et nous protégeait mais aussi les collègues de la DSPAP qui venaient courageusement ».

A 22h40, ils ont quasiment terminé l’évacuation du rez-de-chaussée.
A 22h45, arrive le reste de la BRI dans son unité constituée, avec l’intégralité des PC, les négociateurs, l’armement lourd, y compris un détachement du RAID qui a souhaité les rejoindre.

A 23h00, ils ont le sentiment d’avoir mis la fosse en sécurité et de pouvoir monter à l’étage. A 23h15, alors que la BRI accède aux loges, ils se rendent compte que des terroristes retiennent des personnes en otages. La situation bascule alors : ils passent d’une mission de sécurisation des lieux à celles d’une prise d’otages.
Ainsi, pendant une heure, depuis sonarrivée sur les lieux, la BRI ne savait pas qu’il y avait des terroristes retranchés avec des otages.

Des tentatives de négociations avec les terroristes ont lieu, à l’aide d’un négociateur de la BRI, qui était également intervenu dans les négociations avec Coulibaly lors de la prise d’otages de l’Hypercacher. Ils essaient de négocier une libération partielle d’otages, notamment celle d’une femme enceinte.
Les terroristes expriment des revendications politiques « vous tuez nos enfants en Syrie, nous tuons les vôtres ici » et menacent régulièrement de tuer les otages.

Après plusieurs appels avec les terroristes, il devient évident qu’aucune négociation ne peut aboutir. Il faut alors donner l’assaut. Le chef de la BRI sortira alors du Bataclan pour aller voir le Préfet ,Michel Cadot, qui lui donnera l’autorisation de lancer l’assaut : « C’est une décision très difficile. Le préfet a eu raison. C’est une décision lourde de conséquences. Si tout le monde avait péri lors de l’opération, il aurait été vivement critiqué. J’étais impressionné. Je suis reparti pour lancer l’assaut ».

Le chef de la BRI, aidée par des équipes du RAID également, raconte la formation de deux « colonnes », par des hommes courageux qui comprennent qu’ils ne vont sans doute pas revenir : « On avait la quasi-certitude que le début de la colonne allait se faire décimer. Tactiquement, un couloir c’est redoutable. Il n’y a rien pour se cacher. Avec des terroristes ayant des explosifs, ça ne laisse pas de place à l’improvisation ». Alors qu’ils sont sur le point de passer à l’assaut, deux autres appels entrants des terroristes leur laisse encore l’espoir d’une libération partielle, en vain.

A 00h10, l’assaut est lancé.

La première colonne, dont le premier homme, équipé d’un bouclier de 180 kg capable de stopper des tirs de kalachnikov, essuiera les tirs de l’’un des deux terroristes qui videra un chargeur entier de fusil d’assaut sur eux, sans atteindre les intervenants. Le chef de la BRI explique alors que le premier de colonne a courageusement continué à avancer et à encaisser les tirs. Ils essayent au maximum de ne pas tirer : ils veulent d’abord sortir un maximum d’otages. Ses hommes ont donc surtout encaissé les tirs. Les tirs de ripostes étaient seulement de 10 cartouches.

La première colonne, tout en avançant dans le couloir et faisant face aux terroristes, dégageait les otages et les orientait vers la deuxième colonne. Ce succès aura été souligné par bon nombre d’avocats de parties civiles et par le chef de la BRI lui-même : l’assaut n’aura engendré aucun blessé ni mort parmi les otages, ni parmi les opérateurs.

Ils font se replier les terroristes au fond du couloir, avec l’usage de flash bang, qui sont des grenades incapacitantes.

Après l’évacuation des otages de la loge, ils continuent à avancer, dans des conditions où on ne voit plus rien en raison de la poussière et des débris. Un opérateur voit une ombre qui semble être armée, il lui tire dessus : le terroriste repart en arrière et se fait sauter (ou son gilet explose lorsqu’il tombe dans l’escalier). Le chef de la BRI se souvient du blast, du souffle. Fort heureusement, les hommes n’ont pas été blessés. Cette explosion a blasté le 2ème terroriste, qui cherchait son détonateur pour se faire exploser mais il n’en n’aura pas le temps et il sera abattu par la BRI. Le démineur expliquera qu’il sera difficile de déminer le gilet tout de suite.

La trentaine de personnes dans le local sera également évacuée. Le chef de la BRI salue également le courage du démineur de la BRI, qui, pour éviter que ces personnes n’enclenchent le gilet non-intentionnellement en enjambant le corps, se couchera sur le corps du terroriste mort pour être sûr que le gilet explosif, non encore désactivé, n’engendre pas d’explosion.

1h15, fin des opérations de la BRI. Il exprime la fierté d’avoir commandé ses hommes. Tout le monde convient que c’était une opération impossible. En rentrant au service, tout le monde part et rentre à la maison. « Il s’agissait d’aller voir nos familles. Aujourd’hui, on le sait depuis l’affaire Merah et aussi après l’Hypercacher, dès qu’on intervient, on a une couverture médiatique continue. Et ce soir-là, nous étions partis de chez nous en famille, nos familles nous ont vu partir et on avait à cœur de rentrer pour les rassurer. Les médias avaient d’ailleurs annoncé à un moment qu’un opérateur avait été tué, ce qui est faux. L’un des opérateurs a été gravement blessé à la main en revanche ».

Bilan de l’assaut : deux terroristes tués, aucun otage tué, un opérateur blessé. « J’en suis ravi mais ça me paraissait plus que difficile à croire quand on a poussé cette porte ».

Le chef de la BRI montre ensuite des photos du couloir : il n’y avait rien pour se cacher. Le bouclier « Ramsès » de 180 kg a reçu 27 impacts d’ogives. « Si on ne l’avait pas eu devant nous, la première partie de la colonne aurait été coupée en deux ».

Le courage de ces deux commandants aura été plus que souligné par les avocats des parties civiles. Un grand nombre de victimes, parties civiles, ont à leur conseil de transmettre des remerciements en leur nom, pour les avoir sauvés.

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