PROCES DU RIO-PARIS : LES PILOTES D’AIR FRANCE DIVISES SUR LA RESPONSABILITE DE LEUR COMPAGNIE

Le procès de l’accident de vol AF447 d’Air France est entré dans sa dernière ligne droite. La parole est aux parties civiles pour la dernière fois, chacun exposant ses conclusions tour à tour. C’est le cas des syndicats de pilotes d’Air France, SNPL, SPAF et Alter qui se sont succédés à la barre. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas d’accord sur la responsabilité de leur compagnie dans le drame survenu le 1er juin 2009. « Victime d’Airbus » pour les uns, pleinement responsable pour l’autre, ils ont tous exposé leurs arguments pour tenter de convaincre les juges.

Pour les syndicats de pilotes, pas de doute, Airbus est le principal responsable de l’accident du vol Rio-Paris. Tour à tour, les avocats du SPAF, du SNPL et d’Alter ont, sans surprise, plaidé à charge contre le constructeur européen ce lundi au Tribunal correctionnel de Paris. Absents du banc des accusés, l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) et Thales, le fabricant des sondes Pitot qui ont gelé sur le vol AF447, ont également été cités parmi les acteurs ayant des responsabilités potentielles. En revanche, les représentants des pilotes n’ont pas eu la même unité au moment d’établir celles d’Air France : les avocats du SPAF et du SNPL ont largement minimisé le rôle de leur compagnie, tandis que celui d’Alter a « nagé à contre-courant » en affirmant que celle-ci était loin d’être exempte de tout reproche.

« Air France est aussi une victime d’Airbus »

Premier à passer, le Syndicat des pilotes d’Air France (SPAF) a d’emblée donné le ton. Après avoir argué que l’on retrouvait souvent les mêmes causes et les mêmes acteurs, Maître Roy, l’avocat du syndicat, a sans surprise exonéré les pilotes : « Il fallait ce procès car les pilotes ont, non pas le sentiment, mais la certitude que la responsabilité de ce drame est à rechercher ailleurs que dans l’équipage. » Plus étonnant en revanche de la part de l’une des parties civiles à l’encontre d’un des accusés, il a laissé entendre qu’Air France n’avait pas véritablement sa place sur le banc à côté d’Airbus avec une formule indirecte : « puisqu’Air France est prévenue ».

Et puisqu’Air France est prévenue, « il ne s’agit pas pour le SPAF de dire qu’Air France a tout faux, que tout est la faute d’Air France. Sûrement pas. Les pilotes savent que la priorité de leur compagnie est la sécurité. Ils réfutent l’idée que pour des basses raisons d’économies, certaines actions n’aient pas été entreprises. Les pilotes aiment leur compagnie, mais nul n’est parfait et s’il y a eu des défaillances, le Tribunal nous le dira », a-t-il poursuivi.

Durant la suite de sa plaidoirie, Maître Roy n’a eu cesse d’aller dans le même sens avec plusieurs autres formules. Et même au moment de parler des négligences éventuelles d’Air France, l’avocat du SPAF a débuté son propos en déchargeant la compagnie de toute responsabilité pénale : « Soyons clairs. Même si Air France a été également renvoyé, les causes de cet accident par suite de négligence sont bien évidemment à rechercher d’abord et essentiellement chez Airbus. [...] Air France est elle aussi une victime d’Airbus. »

Air France, responsable mais pas trop

Concernant les deux chefs d’accusation dont doit répondre Air France, à savoir un manque d’information des équipages après la multiplication des incidents de givrage de sondes Pitot entre 2008 et 2009, ainsi que d’un manque de formation pour les pilotes pour faire face à ces situations, le SPAF est resté sur cette ligne. Selon Maître Roy, la compagnie a bien été informée par Thales de la recrudescence des incidents, ainsi que par les rapports d’incident rédigés par les pilotes (ASR), mais « s’il est vrai, à notre connaissance, que ces ASR n’ont pas été suivis de réponse, il est vrai aussi qu’Air France n’avait pas la réponse, parce que c’était Airbus qui l’avait ».

L’avocat reconnaît tout de même que la note de l’officier de sécurité des vols (OSV) d’Air France, suite à plusieurs incidents au sein de la compagnie, n’est pas alarmante et parfois confuse, sans la moindre indication sur les procédures à appliquer, et que celle-ci a sans doute été noyée dans toute la communication adressée aux pilotes. De même, il a pointé la légèreté du magazine interne Survol, destiné aux pilotes, « qui porte bien son nom », ou encore l’inadéquation de la journée 4S (stage sécurité, sauvetage et sûreté) de 2008, avec l’évocation des cristaux de glace mais dans un domaine complètement différent (givrages de moteur rencontrés par Boeing sur ses 777).

Sur la formation, Maître Roy évoque également l’inadaptation de la formation, car celle-ci était centrée sur les pertes d’indication de vitesse en basse altitude, sans session consacrée au traitement de cette panne ou encore au pilotage en loi alternative en haute altitude. Et s’il juge ne pas savoir si « Air France a peut-être failli », il affirme qu’Airbus est bel et bien le « chef d’orchestre » pointant « l’arrogance du constructeur, qui refuse de se remettre en question en oubliant l’humain ».

Aller à contre-courant

Si certains avocats des parties civiles dénoncent un pacte de non-agression entre Air France et Airbus, la compagnie aérienne et ses pilotes sont donc loin de l’affrontement direct si ce n’est Alter. Dernier à plaider, son avocat, Maître Petit, a salué le travail fait par ses confrères pour pointer les fautes d’Airbus, mais s’est offusqué du fait qu’Air France puisse être exempt de tout reproche : « Je ne voudrais pas nager à contre-courant - j’ai sûrement mal compris - mais [...] Air France ne devrait pas être pointée du doigt comme étant responsable en tant qu’exploitant ? Air France qui vend des billets aux passagers ? Air France qui entraîne ses pilotes ? La compagnie ne peut-elle pas faire l’objet de quelque remarque ? »

L’avocat d’Alter, par ailleurs ancien pilote de ligne lui-même, a ainsi renvoyé Airbus et Air France dos-à-dos, estimant que si l’une ou l’autre des deux sociétés « avait fait quelque chose, il n’y aurait pas eu d’accident ». Il estime ainsi que l’une comme l’autre ont failli à l’un des principes centraux de l’aéronautique, à savoir la prévention des accidents. Estimant que le travail était déjà fait pour pointer la responsabilité d’Airbus, il s’est concentré sur Air France.

« Qu’est-ce qui est interdisait la société Air France de se renseigner auprès de la DGAC pour savoir s’il y avait des informations sur des cas de pannes anémométriques dans d’autres compagnies ? », a-t-il déclaré.

Maître Petit a dès lors insisté sur le manque de proactivité d’Air France, placée en haut « d’une tour d’ivoire et attendant que l’on porte des éléments à sa connaissance », tels que ceux rencontrés par Air Caraïbes et XL Airways et avec des givrages de sondes Pitot présentant d’importantes similarités avec celui de l’AF447. S’il admet que tout ne peut être anticipé, à l’image d’un attentat, il considère que dans le cas présent les signes avant-coureurs s’étaient multipliés depuis des années et qu’Air France était tout à fait sensibilisée aux notions de pannes anémométriques. Il a cité pêle-mêle la consigne de navigabilité en 2001 pour le changement des sondes Rosemount qui équipaient alors les Airbus A330, deux incidents de givrage en croisière sur A340 (un chez Air France, l’autre chez Air Tahiti Nui mais mentionné par Air France) ou encore le remplacement en 2007 des sondes Thales AA par des BA suite à une série d’incidents sur A320 liés à l’ingestion d’eau à basse altitude sous fortes pluies...

Pour parachever sa démonstration, l’avocat a enfin pointé le fait qu’Air France ait « découvert » à la suite de l’accident six incidents supplémentaires n’ayant pas fait l’objet d’ASR, alors que les messages de maintenance ACARS transmettent de manière automatique les problèmes anémométriques. Autant d’exemples qui lui font dire qu’il « ne voit pas comment l’on pourrait atténuer la responsabilité d’Air France ».

S’appuyant sur l’audit réalisé en 2010 par une équipe indépendante d’évaluation de la sécurité (ISRT), indiquant que la culture de sécurité de la compagnie est « encore principalement axée sur les événements et réactive plutôt que proactive et prédictive », il estime « qu’Air France attend malheureusement l’incident pour réagir et non pas en fonction du facteur de risque ».

Air France était parfaitement au courant

Et encore, il ne s’agissait là que d’une prise d’élan de la part de l’avocat d’Alter pour adresser un coup de boutoir bien plus important à l’encontre d’Air France : « Là où c’est plus grave, c’est qu’au sein de la compagnie Air France, vous aviez des pilotes au plus haut niveau du pôle Formation qui étaient parfaitement au courant de ces pannes, notamment sur d’autres compagnies. » Il a directement pointé Jean-Louis Françon, instructeur chez Air France, qui a dirigé entre 2002 et 2008 l’Organisme du contrôle en vol (OCV). Composé de 12 commandants de bord dont six d’Air France, cet organe est directement attaché au Directeur général de l’aviation civile (DGAC) afin d’apporter son expérience opérationnelle pour améliorer la sécurité des vols.

Pour Maître Petit, il est ainsi improbable que des pilotes qui échangent régulièrement dans le cadre de la DGAC sur les problèmes survenus dans les différentes compagnies, n’en parlent pas au sein de leur propre compagnie. Lancé, il a aussi indiqué qu’Eric Gobert, qui prend la tête de l’OCV en 2008, deviendra 10 ans plus tard directeur général adjoint en charge de la sécurité des vols d’Air France. Pour lui, pas de doute : « Air France était parfaitement au courant de ce qu’il se passait dans les autres compagnies. »

L’avocat du syndicat Alter conclut sa charge contre Air France en soulignant « l’impréparation des équipages, caractéristique de la sous-estimation de la dangerosité de ces pannes » et de « l’impact de la perte des indications anémométriques en croisière ». Une situation qui n’a de fait jamais été travaillée en simulateur ou présentée lors des journées 4S par un pilote ayant vécu ce type d’événement. Il y voit donc un facteur fondamental pour expliquer les difficultés des pilotes à gérer la situation : « Air France a laissé une porte ouverte sur la sécurité du vol à haute altitude ».

Tout cela ne l’empêchera néanmoins pas Maître Petit de conclure sa plaidoirie en revenant sur le cas d’Airbus, pointant tour à tour la défaillance des sondes Pitot Thales AA, la passivité d’Airbus avant de reconnaître qu’il fallait les changer, ainsi que les dysfonctionnements des directeurs de vol et de l’alarme de décrochage et parlant de négligences graves. « On ne peut en aucun cas faillir sur la technologie à bord des avions. Cette non-fiabilité de la technologie est une faillite sécuritaire », a-t-il ainsi asséné.

Crédit photos : L. Barnier - La Tribune, article par Léo Barnier publié sur le site latribune.fr

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