Sans mon mari, "je serais morte", lâche une survivante de la tempête Xynthia. Jeudi, de premiers témoignages de rescapés, dont beaucoup avaient la gorge nouée, ont suscité une émotion palpable parmi les victimes et leurs proches, au procès du drame de La Faute-sur-Mer. En février 2010, Gérard et Colette Ferchaud sont arrivés dans leur maison la veille de la tempête. Déconnectés des actualités, ils ont vu rapidement à la télé, sans le son, le classement en alerte rouge de la Vendée, mais ne s’attendaient pas à passer une telle nuit.
Colette, qui souffre de problèmes d’audition, dort profondément quand elle est réveillée en pleine nuit par son mari, inquiet d’un bruit de "gloutonnement". Et "le bruit augmentait", explique-t-il. Pour elle, c’est le lave-vaisselle. Mais lui se rend compte qu’il y a 10 cm d’eau dans la maison. Dehors, l’eau atteint rapidement un mètre. Ils décident de rejoindre leur bateau dans la cour en passant par une fenêtre de la véranda. Mais alors qu’ils arrivent dans la véranda, "un vantail de la baie vitrée explose", raconte Gérard.
L’eau monte à 1,80 m
L’eau glacée s’engouffre. Colette est séparée de son mari par une vitrine qui se renverse sous la force de l’eau. "C’était dans le noir, on ne voyait rien", explique-t-elle. Son mari la dégage et ils parviennent finalement, en vêtements de nuit et trempés, jusqu’au bateau dont Gérard, en chutant dans l’eau, vient de perdre la clé, ainsi que son téléphone et sa lampe de poche.
"Je casse la porte à coups de pied, on entre dans la cabine", se souvient le mari. "Je grelotte, j’ai extrêmement froid. Pour éviter l’hypothermie, on s’est frappés mutuellement de haut en bas, on faisait des pompes." Autour d’eux, l’eau est montée à 1,80 m. "J’ai commencé à entendre des cris au secours, à l’aide, des cris vraiment déchirants dans la nuit, ça a duré vingt, vingt-cinq minutes peut-être", dit avec émotion le survivant. "Le vent soufflait par rafale", se rappelle-t-il. Puis, "quand le vent se calmait, il y avait un silence vraiment très, très prenant", décrit Colette.
"Intolérable, inacceptable"
"Je n’ai pas eu peur pour nous, on était en sécurité dans le bateau, j’ai eu peur pour le village", témoigne-t-elle. Au matin, peu après 8 heures ce 28 février 2010, un camion de pompiers passe dans la rue. Gérard utilise sa corne de brume pour signaler leur présence. Sans mon mari, "je serais morte", lâche la survivante dans un souffle. Puis, en sanglotant, elle avoue : "Nous, on s’en est sortis, mais c’est encore très difficile..."
Aujourd’hui, ce qu’elle ressent, c’est "de la colère". "Le soir de cette tempête, pourquoi personne n’est venu nous prévenir ? C’est intolérable, c’est inacceptable", lance-t-elle en rappelant que son mari, qui a été maire d’une autre commune, avait passé sa nuit lors de la tempête de 1999 à alerter les habitants et à leur venir en aide. "Pour prévenir, c’était facile, il suffisait d’une voiture", assure son mari. "Je suis écoeurée, aucun élu n’est venu nous voir, ni avant, ni pendant, ni après", dénonce-t-elle, rappelant qu’ils s’étaient installés dans leur maison en 2004, sans avoir été alertés des risques d’inondation.
Dans la cuvette de la commune où sont mortes la majorité des 29 victimes, à la place des habitations, il y avait auparavant "des vaches, elles avaient de l’eau quasiment jusqu’aux rotules lors des grandes marées", assure Gérard. "Comment a-t-on pu mettre des maisons ici ?" interroge sa femme, indignée. Cette question était jeudi sur toutes les lèvres des survivants venus témoigner à la barre. Cinq prévenus, dont l’ancien maire de la commune, mais aussi deux entreprises comparaissent principalement pour homicides involontaires dans ce procès qui réunit plus de 120 parties civiles. Le procès doit durer jusqu’au 17 octobre, avant le jugement attendu le 12 décembre.
lepoint.fr avec AFP - le 18.09.2014