Les enquêteurs français soulignent les erreurs humaines dans le crash de l’avion d’Air France.
Haro sur les pilotes ! Même s’il s’en défend, le Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) a mis en avant les erreurs humaines de l’équipage dans son troisième rapport intérimaire sur le crash du vol Rio-Paris, publié vendredi. Le rapport confirme que la séquence fatale a bien été déclenchée par le givrage des sondes mesurant la vitesse, ce qui a entraîné la perte du pilote automatique et celle des protections contre le décrochage - la chute libre. Mais le BEA estime que la situation était « rattrapable », que c’est l’action des pilotes qui a fait tomber l’avion dans l’Atlantique.
Chute rapide. Le BEA pointe d’abord le fait que le commandant de bord n’a pas clairement réparti les « tâches entre les deux copilotes » lorsqu’il est allé se reposer. Le copilote le moins expérimenté s’est retrouvé aux commandes. D’où la recommandation du BEA d’instaurer des règles claires. Lorsque les sondes givrent à 2 h 10’ 05, le pilote n’applique pas la procédure prévue, et cabre l’appareil de manière « trop importante », puis le rétablit. A 2 h 10’ 51, l’alarme de décrochage retentit. Le pilote cabre alors à nouveau l’appareil, alors que la procédure prévoit de piquer. « Cette manœuvre est incompréhensible. Les équipages qui avaient vécu une panne des sondes auparavant s’en sont sortis parce qu’ils ont piqué », indique un pilote d’Air France.
L’avion décroche et tombe comme une pierre. Mais l’équipage ne le comprend pas, alors que l’alarme retentit durant cinquante-quatre secondes et que les instruments indiquent une chute rapide. « Aucun des pilotes n’a formellement identifié la situation de décrochage », dit le BEA. Le rapport précise que les pilotes ont une circonstance atténuante. « Les copilotes n’avaient pas reçu d’entraînement à haute altitude à la procédure » liée au givrage des sondes, ni au « pilotage manuel » dans ces conditions. D’où une recommandation pour que les pilotes soient formés au « pilotage manuel, à l’approche et à la récupération du décrochage y compris à haute altitude ». Le BEA oublie de préciser que les pilotes n’étaient pas non plus formés au décrochage, et qu’ils n’étaient tenus de connaître par cœur les deux procédures applicables cette nuit-là.
Les causes de l’accident ne seront publiées que dans le rapport final, attendu « au premier semestre 2012 ». Le BEA va maintenant mettre en place un groupe de travail « facteurs humains » pour comprendre pourquoi l’équipage a agi ainsi.
Le rapport est très dur pour les pilotes, mais aussi pour Air France, puisque « nous pensons nécessaire d’examiner la façon dont est organisée la sécurité des vols au sein de la compagnie », a taclé le patron du BEA, Jean-Paul Troadec.
Air France et ses pilotes sont immédiatement montés au créneau. « Nous ne considérons pas à ce stade qu’il y a erreur de pilotage », indique le directeur des opérations aériennes de la compagnie, Alain Bassil. Pour lui, l’« élément déclencheur » est le givrage des sondes. « Une situation stressante, inconnue et difficile à gérer », ajoute Jean-Louis Barber, du Syndicat national des pilotes de ligne. Pour le pilote Gérard Arnoux, les multiples dysfonctionnements ont créé une « saturation mentale »des pilotes.
Alarme. Air France pointe également l’alarme de décrochage. Elle a joué « un rôle contre-productif » en trompant les pilotes, affirme Bassil : l’alarme se déclenchait lorsque les pilotes corrigeaient la situation (en piquant), et se taisait lorsqu’ils l’aggravaient (en cabrant). Troadec a reconnu que « cela a pu perturber l’équipage ». Il a refusé de dire si les pilotes avaient suivi les mauvais conseils de l’alarme - mais écrit dans son rapport (p. 78) que cela « semble » être le cas. Ce point sera examiné dans la suite de l’enquête.
En attendant, une seule recommandation vise Airbus : le BEA souhaite équiper les cockpits d’un indicateur d’incidence, très utile pour aider les pilotes à comprendre qu’ils décrochent.
Yann Philippin - Liberation.fr - publié le 30 juillet 2011