Si le tribunal de Lille avait voulu prévenir l’ensemble des marchands de sommeil des éventuels retours de bâton auxquels ils s’exposent, il ne s’y serait pas pris autrement. Hier, les juges de la 9e chambre correctionnelle ont, en effet, condamné le propriétaire de l’immeuble vétuste dans lequel avaient péri six personnes, en août 2006 boulevard Beaurepaire à Roubaix, à cinq années de prison ferme et 100 000 E d’amende. La peine étant accompagnée d’un mandat de dépôt, Christian Derache, 61 ans, a été arrêté à la barre.
Il ne voulait pas y croire. Quand il a pénétré hier matin dans le prétoire de la grande salle du tribunal de police, rebaptisée salle Festina depuis qu’un certain Richard Virenque y a reconnu ses fautes, Christian Derache est arrivé les mains vides mais la tête pleine d’une sourde inquiétude.
Alors, quand les mots du président Bernard Lemaire ont claqué, il a su qu’il aurait dû faire sa valise.
D’un côté, il devait bien se douter. Le 1er avril, jour du procès, la procureure Anne-Lyse Cau avait requis huit ans de prison ferme. Mais de l’autre, il n’avait jamais non plus fait le moindre jour de détention provisoire dans le cadre de ce dossier épouvantable dont les six victimes illustrent un nouveau chapitre de la condition humaine : la misère et la cupidité.
« Hébergement indigne... »
« C’est évident que c’est une décision qui est dure, concède Me Thierry Vandermeeren, mais mon client l’accepte avec dignité même si quatre ans après les faits, c’est difficile de se retrouver enfermé. Je pense que le tribunal a voulu faire un exemple pour que ces faits ne se reproduisent plus. » Naturellement, cette décision est accueillie avec soulagement par les parties civiles et leurs représentants. Dans les motivations du jugement, le président Lemaire a, en effet, bien insisté sur le fait qu’il n’était pas question uniquement d’homicides involontaires mais aussi « d’avoir soumis des personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes ». C’est aussi la raison du quantum de l’amende : 100 000 E. « Le tribunal l’a calculé en fonction des loyers que vous avez perçus », ajoute le magistrat.
Cela a le mérite d’être clair.
« C’est une peine lourde mais c’est une juste sanction », confirme ainsi Me Hélène Fontaine, partie civile pour un homme ayant perdu sa femme et sa petite fille dans l’incendie. « Cela aura valeur d’exemple pour tous les autres marchands de sommeil. »
Avocat du DAL, Me Fabrice Dandoy estime également cette sanction logique. « N’oublions pas qu’il y a eu six morts sur l’autel de l’imprudence et de l’argent facile. » Conseil pour la famille de l’une des victimes, Me Bruno Wecxsteen donne des vertus éducatives à cette décision : « Je pense que cela va faire réfléchir tous les propriétaires et les bailleurs sur le fait que la sécurité des personnes qu’ils hébergent doit être une priorité. » Justement, le second prévenu de ce procès, l’électricien auquel il était reproché d’avoir bâclé son travail, s’en sort logiquement avec le minimum. La démonstration étant faite que le sinistre n’est pas dû à un dysfonctionnement électrique, Frédéric Braem, 40 ans, est condamné à un an de prison avec sursis. Les juges ont juste retenu un usage de faux concernant une attestation « bidonnée » remise à un organisme de contrôle. Cela pose une question centrale : comment et pourquoi le feu est-il né ? Un geste accidentel ? Une main criminelle ? Les familles des victimes risquent d’attendre longtemps la réponse.
PAR FREDERICK LECLUYSE
La Voix du Nord / 29 mai 2010