Salpêtre et charbon, la petite cuisine du jihad au procès du groupe de Cannes-Torcy

Broyer du salpêtre, mixer du charbon, trafiquer un réveil : un accusé a décrit mardi devant la cour d’assises de Paris les expériences menées début septembre 2012 dans un appartement cannois par le chef de la filière jihadiste de Cannes-Torcy pour "fabriquer des explosifs".

C’est Michaël Amselem, fraîchement converti, de père juif et de mère catholique, qui est désigné un matin de la fin août pour aller acheter cinq kilos de salpêtre dans une pharmacie de la région de Cannes (Alpes-Maritimes).

"On me dit de me faire passer pour un apprenti boucher et de récupérer le salpêtre (utilisé comme conservateur pour la viande, en vente libre, NDLR). Quand je suis revenu, j’ai demandé à quoi ça servait et Jérémie Louis-Sidney m’a dit : +A faire des explosifs.+ Je suis tombé des nues", déclare-t-il à la barre.

Le chef fanatique et violent du groupe, qui lancera trois semaines plus tard une grenade dans une épicerie casher de Sarcelles, en région parisienne, est alors en "ébullition".

L’été a permis des contacts entre les "frères" de Torcy (Seine-et-Marne) et ceux de Cannes : prières, baignades, repérages aussi en vue de futures attaques contre des cibles militaires, selon le numéro 2 du groupe. Vingt membres présumés de la filière sont jugés devant la cour d’assises de Paris pour l’attentat de Sarcelles mais aussi des projets d’attaque.

Six mois après les tueries du jihadiste toulousain Mohamed Merah, Jérémie Louis-Sidney, alias Anas, semble avoir l’ambition de frapper un grand coup. La plupart des "Parisiens" sont repartis et lui s’est installé dans l’appartement de Victor Guevara, qui héberge aussi son copain d’enfance Michaël depuis début juillet.

Récupérer du salpêtre, Michaël Amselem a "trouvé ça bizarre". "Mais j’étais dans une phase d’endoctrinement, influençable, incapable de penser par moi-même", plaide-t-il.

- "pas très charismatique" -

Quelques jours plus tard, il surprend Anas "en train de mixer le salpêtre". Il est agacé : "C’est mon mixeur, il ne m’a même pas demandé l’autorisation."

Dans l’appartement, il y a aussi un sac de charbon. "Dans ma tête, c’était pour faire un barbecue. Jusqu’au jour où Anas me demande d’en faire de la poudre. Je ne le fais pas", ajoute-t-il.

Il explique avoir aussi vu "un réveil avec des fils qui sortaient de partout : c’était clairement pour fabriquer des explosifs". Mais là encore, il ne s’oppose pas.

C’est quand Anas lui demande d’appeler des associations juives pour des renseignements qu’il se rebiffe enfin. "J’ai clairement vu qu’il fonçait dans un mur et allait emporter beaucoup de monde avec lui."

Le jeune homme, qui a alors 23 ans, décide de partir, achète un billet pour Paris quatre jours plus tard. Son avocat rappelle qu’il a lui-même parlé du salpêtre, sans quoi personne ne saurait qu’il l’a acheté, affirme qu’aucun élément matériel n’incrimine réellement son client.

Le président reprend tous les éléments : la paranoïa d’Anas, l’achat du salpêtre, le charbon, le réveil, des armes portées à la vue de tous, la haine des juifs... "Vous étiez conscient que cela préparait un passage à l’acte ?"

"Oui, c’est un peu ce qui a motivé mon départ. C’est facile aujourd’hui de dire qu’il fallait s’opposer. A l’époque, je n’étais pas armé pour faire face à Anas", répond-il.

"Il n’était peut-être pas très charismatique pour un savant, mais il ne s’entourait que de jeunes de 15 ans de moins que lui. Et moi je ne connaissais rien à l’islam", se justifie-t-il.

Et que dire de ce rendez-vous à Paris, où il retourne prier à la mosquée avec ses "frères" de Torcy, deux jours avant l’attentat ? "Je m’éloignais, mais progressivement. Anas se serait méfié si je n’y étais pas allé."

Pourquoi ne pas dénoncer un homme aussi dangereux ? Michaël Amselem se tord les mains, regrette. "J’aurais dû le dénoncer, dit-il. Mais j’avais peur pour moi, pour mes parents. Il savait que mon père était juif".

Le procès est prévu jusqu’au 21 juin.

Source : lexpress.fr
Auteur : AFP
Date : 30 mai 2017

Crédit photos : Source : lexpress.fr Auteur : AFP Date : 30 mai 2017

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