Sécurité à Nice : les questions en suspens après l’attentat du 14 juillet

Une semaine après l’attentat de Nice, la polémique se concentre sur les failles dans le dispositif de sécurité de ce 14-Juillet. Questions, doutes, critiques s’enchaînent, sur fond de passes d’armes entre la ville de Nice et son très actif adjoint au maire, Christian Estrosi, et le gouvernement.

Comment un camion a-t-il pu pénétrer dans la zone où se déroulait le feu d’artifice sans être arrêté par un dispositif ? L’Etat, comme les services municipaux de Nice, ont-ils cherché à dissimuler des failles éventuelles ?

1. La question des effectifs

Première accusation, celle d’un nombre insuffisant de policiers nationaux. C’est Christian Estrosi qui la pose, dès le lendemain de l’attaque, allant jusqu’à parler dans les colonnes de Nice-Matin d’un « mensonge d’Etat » sur la question.

« Le ministère de l’intérieur a affirmé qu’ils étaient 64. Le premier ministre a indiqué qu’ils étaient au total 185. Ces deux chiffres sont mensongers. »

Manuel Valls avait déclaré que « 64 fonctionnaires de la police nationale, 42 agents de police municipale et 20 militaires de l’opération Sentinelle avaient été déployés sur cette manifestation, en plus de l’activité normale sur le reste de la ville. »

De son côté, M. Estrosi dit s’appuyer sur la vidéosurveillance pour constater qu’il n’a pas vu autant de policiers dans le dispositif. Mais Le Canard Enchaîné comme Libération ont pu consulter, au ministère, des documents confirmant la présence de 55 à 92 policiers nationaux selon l’heure de la soirée. La place Beauvau dit tenir ces documents à la disposition de la justice.

Autre question : selon Le Canard Enchaîné, un responsable de la préfecture avait demandé à la ville la mise en place d’un dispositif de fouille et de filtration du public à l’entrée de la « Prom’Party », qui n’avait pas pu être monté faute d’effectifs suffisants.

Autre critique connexe, le fait que les forces de sécurité aient dû gérer un défilé, puis un concert, puis un feu d’artifice. M. Estrosi réplique en évoquant dans Nice-Matin l’arrivée du Tour de France au mont Ventoux, qui aurait mobilisé également des forces de sécurité du département.

2. Le camion resté garé

La mairie de Nice doit également se défendre : la ville est la vitrine française de la « vidéoprotection » avec plus de 1 400 caméras. Pourtant, comme l’a révélé France Bleu Azur, le camion loué par le terroriste a pu circuler et rester garé autour de la promenade des Anglais, alors que sa circulation était en théorie interdite un jour férié dans le centre-ville. Un arrêté municipal de septembre 2014 interdit également la circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes dans la ville.

La mairie se défend en expliquant que dans certains cas, des camions peuvent avoir des dérogations, et qu’« il est impossible d’avoir un agent qui visionne les images de chaque caméra de la ville en temps réel ».

3. La non-sécurisation de l’accès piéton

Le cœur de la polémique se situe dans la sécurisation de l’accès à la promenade des Anglais, qui a donné lieu à une passe d’armes entre le journal Libération, qui accuse Bernard Cazeneuve de « mensonges », et la Place Beauvau. Le quotidien explique, dans son édition du jeudi 21 juillet, qu’il n’y avait pas de barrages policiers à même de sécuriser le dispositif, et que c’était la police municipale qui tenait le point de contrôle principal. Ce à quoi M. Cazeneuve a répondu par un long communiqué… où il tombe en réalité d’accord avec Libération sur le dispositif.

Deux « points » étaient prévus. Le premier au croisement du boulevard Gambetta et de la « prom’ » comportait des barrières métalliques et des plots plastiques, destinés à couper l’accès aux véhicules et à dévier la circulation.

A partir de 21 heures, il était tenu par la police municipale. Un second « point de sécurisation » était situé plus haut sur la promenade des Anglais, à l’angle de la rue Meyerbeer. Il gardait l’accès de la « Prom’Party », l’endroit des festivités.

Le camion a franchi ces deux dispositifs, terminant sa course environ 230 mètres après le second point lorsque le terroriste est abattu par des policiers nationaux. Le premier point a été franchi en passant par le large trottoir de la promenade. Le second, que l’on peut voir sur une vidéo filmée par un occupant de l’hôtel Westminster, n’était pas un barrage à proprement parler, mais une simple présence de deux véhicules de police nationale garés le long de la voie.

Sur la vidéo, on voit le camion passer devant les voitures de police et accélérer. Les six policiers placés à cet endroit ont cependant participé à la neutralisation du terroriste quelques centaines de mètres plus loin.

4. La ville et ses « blocs béton » de sécurisation

Oui, la ville possède des blocs de béton. Ces blocs ont d’ailleurs été utilisés pendant les jours précédents, l’ancien maire, Christian Estrosi, précisant qu’ils « avaient été positionnés pour faire des chicanes [mais que] cette disposition n’a pas été reproduite le 14-Juillet ».

Semblant accuser l’Etat de ne pas avoir pris des dispositions, le président de la région est contredit par Benoît Kandel, conseiller municipal de Nice et ancien bras droit de M. Estrosi. En effet, l’installation de ces blocs est à la charge de la police municipale…

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Néanmoins, ces blocs de béton, qui pèsent entre une tonne et deux tonnes selon les modèles, n’auraient peut-être pas été suffisants pour arrêter un camion de 19 tonnes, même lancé à vitesse réduite. Dans sa course folle, le camion a roulé jusqu’à 90 km/h. « Il aurait fallu un mur de béton. Or, il fallait laisser passer les secours », a ensuite déclaré Anthony Borré, directeur de cabinet du maire.

5. Des vidéos « effacées »

Les enquêteurs de la sous-direction antiterroriste de Paris (SDAT), après avoir récupéré plus de 27 000 heures de vidéosurveillance auprès du centre de supervision urbain de Nice, dont l’ensemble des images de l’attentat, ont demandé à la ville de supprimer les bandes des serveurs. Une injonction qui a surpris la municipalité de Nice puisque, comme le rappelle Nice-Matin, les images, également récupérées par la police nationale, sont automatiquement détruites des serveurs municipaux au bout de dix jours.

La raison évoquée par le parquet est d’éviter la diffusion des images « non contrôlée et non maîtrisée » de l’attentat ; en retour la ville de Nice s’est étonnée, « eu égard à la polémique sur la nature du dispositif policier » déployé le soir de l’attaque. L’avocat de la municipalité de Nice, Me Philippe Blanchetier, a annoncé que la copie des images que possède la police nationale ne serait pas supprimée et qu’il allait demander auprès du procureur de la République qu’elles soient placées sous séquestre « afin de ne pas hypothéquer les éventuelles autres procédures qui pourraient voir le jour au-delà de l’enquête antiterroriste en cours ».

S’appuyant sur les articles 53 et L. 706-24 du code de procédure pénale et de l’article R. 642-1 du code pénal, La SDAT précise qu’il s’agit également d’effacer « toutes les copies des enregistrements effectués de la scène de crime réalisées hors cadre judiciaire ».

Source : lemonde.fr
Auteurs : Samuel Laurent, Pierre Breteau et Marie Boscher
Date : 22/07/2016

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