Dans l’affaire du Joola - du nom de ce ferry qui a sombré en 2002 au large du Sénégal, causant la mort de près de 2000 passagers -, les juges d’instruction ont suivi l’avis du parquet et ordonné un non-lieu, en raison « des dispositions internationales » qui les empêchent d’engager des poursuites en France dans ce dossier.
L’affaire dure depuis 12 ans. En septembre 2002, le ferry Joola qui reliait Ziguinchor et Dakar sombrait au large du Sénégal. Officiellement, près de 1900 personnes périssaient dans ce naufrage. Parmi elles, 18 Français.
La justice sénégalaise avait classé le dossier en 2003 en concluant à la seule responsabilité du commandant de bord. Une information avait alors été ouverte en France devant le tribunal d’Evry, en banlieue parisienne. Sept personnalités sénégalaises, dont plusieurs anciens ministres, faisaient l’objet d’un mandat d’arrêt dans ce dossier. Mais en 2011, le parquet d’Evry avait requis le non-lieu.
Ce mardi, les juges d’instruction ont suivi l’avis du parquet, en raisons « des dispositions internationales » qui les empêchent d’engager des poursuites en France dans ce dossier. Me Etienne Rosenthal, avocat de l’association des familles des victimes, estime que l’argument de la souveraineté dans cette affaire ne tient pas :
« Ce n’est pas parce qu’il s’agit de fonctionnaires censés avoir travaillé dans le respect de leurs missions que leurs actes relèveraient de la souveraineté de l’Etat du Sénégal.
Pour qu’un acte puisse relever de la souveraineté d’un Etat, encore faut-il qu’il ne soit pas contraire aux engagements pris par cet Etat. Il ne s’agit pas de juger un acte étranger, mais tout simplement a minima, de vérifier si les omissions qui étaient reprochées aux différentes personnalités sénégalaises pouvaient être considérées comme rentrant dans leurs missions, et en l’occurrence plusieurs parties civiles, nous avons cherché, nous pensons avoir démontré que ce n’était pas le cas.
Et aujourd’hui avec cette ordonnance de non-lieu, les juges d’instruction n’expliquent toujours pas en quoi toutes ces infractions graves et délibérées aux conventions maritimes internationales de l’OMI, et au Code de la marine marchande, qui les avait transposées quarante jours avant le naufrage, constitueraient des actes relevant de la souveraineté du Sénégal, puisqu’ils sont contraires à la loi sénégalaise. Ca n’a pas de sens ! »
Pour Me Etienne Rosenthal, cette ordonnance n’est pas motivée juridiquement et est indéfendable :
« C’est une conclusion lapidaire. Il n’y a pas d’argumentation, puisque nous avions démontré dans le cadre de cette instruction à la fin de cette instruction, qu’au contraire, tous ces manquements étaient tellement éloignés de la mission de service public qu’on pouvait attendre des uns et des autres, qu’il ne pouvait pas, évidemment, être considérés comme des actes de gouvernement ou des actes relevant de la souveraineté du Sénégal. Donc c’est un dialogue de sourds.
Nous avons développé sur une bonne cinquantaine de pages un certain nombre d’arguments minutieux, rigoureux, précis, basés sur la jurisprudence française, son évolution, la jurisprudence internationale, et nous n’avons aucune réponse, à part cette conclusion lapidaire qu’il s’agit d’actes qui relèvent de cette souveraineté.
Et ce faisant, les juges d’instruction ont oublié que quand on mentionne le verbe relever, ça veut dire qu’il faut le motiver. Il faut justifier. Et c’est indéfendable. C’est pour ça qu’on n’a pas de motivation ! Donc c’est une ordonnance qui est éminemment critiquable. »
L’Association des familles des victimes du Joola va faire appel de cette ordonnance.
rfi.fr - le 29.10.2014