D’où vient la hausse rapide de la radioactivité à Fukushima ?

Que se passe-t-il vraiment à Fukushima ? Mercredi 10 juillet, la compagnie Tepco, l’exploitant de la centrale nucléaire japonaise ravagée par le séisme et le tsunami du 11 mars 2011, a annoncé avoir mesuré la veille, dans un forage situé entre les réacteurs et le bord de mer, une nouvelle augmentation des taux de césium radioactif dans la nappe phréatique. Ils atteignaient 22 000 becquerels par litre d’eau (Bq/l) pour le césium 137 et 11 000 Bq/l pour le césium 134. Le 8 juillet, ces niveaux étaient de 18 000 et 9 000 Bq/l, soit respectivement... 86 et 99 fois plus que les taux relevés trois jours auparavant.

Le 5 juillet, Tepco avait déjà signalé, au même endroit, un taux astronomique de 900 000 Bq/l d’un autre radioélément, le strontium 90. L’électricien avait alors indiqué que le point de prélèvement se situait sur le passage d’une canalisation où s’étaient déversées de grandes quantités d’eau contaminée en avril 2011, un mois après la catastrophe.

Cette explication n’est pas nécessairement celle de la récente et brusque montée des teneurs en césium. Celle-ci pourrait être le résultat de la lente migration souterraine, via la nappe phréatique, de produits de fission arrachés aux cœurs fondus des réacteurs sinistrés, dans les jours ou les semaines qui ont suivi l’accident. C’est l’une des hypothèses, "plausible mais non certaine", que formule Thierry Charles, directeur général adjoint de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Un cocktail de plus de 300 radionucléides

On l’a su plus tard, les cœurs des réacteurs 1, 2 et 3 de Fukushima (les tranches 4 à 6 étaient à l’arrêt) ont fondu en totalité ou en partie dès les premières heures du sinistre, et le corium (magma brûlant de matière fissile et de gaines métalliques), après avoir percé les cuves des réacteurs, s’est répandu au fond des enceintes de confinement, où il s’est agrégé au béton. Ce corium contenait – et contient toujours – un cocktail de plus de 300 radionucléides formant les produits de fission, c’est-à-dire les cendres de la réaction nucléaire. Parmi eux, des éléments solubles dans l’eau, comme les césium 134 et 137.

Or, depuis deux ans, les trois réacteurs ont été noyés sous un déluge d’eau. Pour les refroidir, Tepco y injecte toujours, en continu, 5 m3 d’eau douce par heure et par réacteur. Soit, quotidiennement, plusieurs centaines de tonnes d’eau qui s’écoulent dans les sous-sols des bâtiments, les galeries et les tranchées du site nucléaire, où la hauteur de l’eau atteint, en permanence, plusieurs mètres. Cette masse liquide contaminée est normalement pompée puis traitée afin d’en extraire les éléments radioactifs – mais pas tous –, avant d’être réinjectée dans le circuit de refroidissement.

Pour compliquer encore la situation, la centrale est située sur une nappe phréatique qui, au contact des bâtiments contenant les eaux contaminées, a pu se charger elle aussi en radionucléides. C’est précisément pour contrôler l’état radiologique de cette nappe souterraine que Tepco a creusé, en front de mer, des puits de prélèvement. Et c’est dans l’un de ces forages qu’a été mesurée une hausse brutale des teneurs en césium 134 et 137.

Selon le scénario avancé par l’IRSN, ces deux produits de fission, qui perdent la moitié de leur radioactivité au bout de respectivement deux et trente ans, seraient passés dans la nappe phréatique – et avec eux sans doute d’autres radioéléments – pour rejoindre, au bout de deux ans, le bord de côte, à une centaine de mètres des réacteurs. Si tel est le cas, estime Thierry Charles, on pourrait encore assister à une montée du niveau de radioactivité au niveau des forages, suivie d’un plateau puis d’une baisse, la gestion actuelle des niveaux d’eau dans les sous-sols des bâtiments visant à minimiser les transferts de radioactivité vers la nappe. Mais, ajoute-t-il, "sur une durée impossible à prévoir".

Une paroi enterrée étanche entre la centrale et l’océan

Le risque principal est celui d’une nouvelle contamination radioactive de l’océan, dont la pollution causée par l’accident a été, au fil des mois, dispersée par les courants. "Nous ne sommes pas pour le moment en mesure de dire si l’eau contaminée s’écoule ou non dans la mer", a admis, mardi, Tepco. L’exploitant a entrepris d’installer, entre le site nucléaire et l’océan, une paroi enterrée étanche. Mais elle ne sera pas achevée avant mi-2014. Dans l’immédiat, il s’efforce, en injectant dans la terre des produits chimiques agissant comme un ciment, d’empêcher les écoulements vers la mer.

En tout état de cause, les dernières semaines confirment la difficulté de Tepco à résoudre le casse-tête de l’évacuation des eaux radioactives. "L’état de la centrale est globalement stabilisé, mais tout reste à faire, commente Thierry Charles. Le gros problème est désormais la gestion des eaux contaminées."

Ce n’est pas le seul défi que doit relever l’électricien japonais. Il lui faut aussi vider les piscines d’entreposage des combustibles, situées dans les parties supérieures des bâtiments des réacteurs gravement endommagées. A commencer par celle du réacteur 4, dont l’état est le plus critique. Il faudra ensuite retirer les combustibles fondus des réacteurs eux-mêmes. Quant au démantèlement complet, il exigera une quarantaine d’années.

Pierre Le Hir, Lemonde.fr - 10 juillet 2013


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