Ryanair joue-t-elle avec la sécurité des vols ?

La saga aéronautique de l’été est signée Ryanair. La low cost irlandaise avait été épinglée l’an dernier à Valence en Espagne quand, le même jour, trois vols avaient dû se dérouter avec des réserves limites de carburant. L’affaire rebondit régulièrement dans les médias ou en édition. Ainsi, à la mi-août, l’émission Dispatches de la chaîne britannique Channel 4 "Ryanair : secrets en provenance du cockpit" faisait état de craintes de certains navigants de la compagnie concernant sa politique en matière de carburant.

Quatre jours plus tard, le pilote John Gloss, un des plus anciens de Ryanair, est licencié pour avoir émis des réserves à l’antenne sur la politique de sécurité. Si tous les pilotes d’Air France qui critiquent leur compagnie étaient virés, on assisterait un véritable plan social ! Selon la low cost irlandaise, qui dément tout laxisme en la matière, une action en justice aurait été lancée contre la chaîne de télévision.

Comme en Angleterre au XIXe siècle

Paru récemment, le livre Ryanair, low cost, mais à quel prix décrypte bien le mode de fonctionnement de la compagnie et les conséquences possibles sur la sécurité des vols. Les relations humaines et sociales chez Ryanair y sont décrites et ressemblent aux tensions de la révolution industrielle britannique au XIXe siècle. O’Leary, P-DG de Ryanair, a aussi menacé l’éditeur Altipresse d’une action en justice, mais celui-ci attend toujours la première lettre recommandée.

À peu près en même temps paraît un sondage réalisé par l’association The Ryanair Pilot Group (RPG). Ceux-ci considèrent que la compagnie n’a pas "une culture de la sécurité ouverte et transparente". 1 093 commandants et copilotes ont répondu à ce sondage, soit près d’un tiers des effectifs. RPG, dont John Gloss est membre du conseil exécutif intérimaire, cherche à être reconnu comme syndicat de pilotes à Ryanair. Jusqu’à maintenant, les organisations professionnelles y étaient interdites. Une précédente tentative s’était terminée par la proposition suivante de la direction : les membres d’un syndicat seront exclus des augmentations de salaire. Précisons que le bureau de RPG, en cours de structuration, compte trois pilotes étrangers à Ryanair sur quatre et la compagnie irlandaise y voit là une manoeuvre de ses concurrents.

Refus d’améliorer la sécurité des vols

Ce sondage s’accompagne de déclarations où il est signalé que Ryanair décourage ses pilotes de faire part des incidents de vol à son service opérations avec copie confidentielle à l’aviation civile irlandaise. La collecte des incidents est un outil essentiel pour l’amélioration de la sécurité des vols. Leur nombre, en valeur absolue, n’est pas un critère pour juger du niveau de sécurité, mais permet d’apprécier la qualité de la base de données. En effet, l’analyse des événements puis la transcription des mesures correctives dans la formation permanente des pilotes permettent d’améliorer le niveau de la sécurité aérienne.

Par exemple, en cas d’atterrissage douteux, qui n’est pas précédé par des approches stabilisées où trajectoire et vitesse sont maîtrisées (ce qui peut passer inaperçu pour les passagers ), les équipages doivent le signaler dans un rapport anonyme à la hiérarchie. L’officier de sécurité des vols de la compagnie, qui a connaissance du déroulement de tous les vols, peut ainsi détecter ces dérives et décider d’inclure telle ou telle séquence d’entraînement lors des prochains contrôles en simulateur. Généralement, la barre est redressée, ce qui peut éviter une sortie de piste ou de durs atterrissages ultérieurs.

Défaillance de la surveillance irlandaise

Ces comptes rendus d’incidents, reportés à l’autorité nationale de tutelle puis à l’Agence européenne de la sécurité aérienne, enfin à l’organisation internationale de l’aviation civile et aux avionneurs, bénéficient à la communauté mondiale. C’est ce qui permet de faire progresser la sécurité du transport aérien. Il est probable que le crash de l’AF447 Rio-Paris aurait pu être évité si les informations sur les pannes de sondes Pitot avaient mieux circulé entre les compagnies françaises et l’Agence européenne.

L’intervention publique de Frédéric Cuvillier, ministre français des Transports, dans un communiqué sur la sécurité chez Ryanair crée un précédent. Elle laisse entendre que son homologue irlandais et l’Irish Aviation Authority ne font pas leur travail de supervision - comme en Afrique - et sont aux ordres de la compagnie, employeur et contribuable majeurs en Irlande. Pourtant, sur les aéroports français, la Direction générale de l’aviation civile contrôle régulièrement les avions de Ryanair et ne note pas de problème particulier. Cuvillier, à la veille du Salon du Bourget, avait déjà annoncé qu’il traiterait des pratiques commerciales de Ryanair dans les aéroports lors d’une réunion avec ses collègues européens. Mais cette promesse n’avait pas été tenue.

O’Leary ne veut pas de transparence

La ligne de conduite de Michael O’Leary, elle, reste parfaitement cohérente. Le P-DG de Ryanair s’efforce à tous les niveaux d’interdire la transparence. C’est vrai pour la sécurité des vols. Personne ne peut non plus tracer les subventions versées par les aéroports et les régions pour soutenir l’économie locale. Les escales, comme des paillotes, naissent et disparaissent au gré des saisons et des opportunités politiques. Le fonctionnement comptable de la compagnie est totalement obscur et consiste en un empilage de filiales qui se facturent les prestations ou la location d’avions via des sociétés offshore. Les rapports commerciaux avec les passagers sont souvent très difficiles. Exemples : il faut payer 40 euros pour imprimer une carte d’embarquement à l’aéroport ; le coût d’un bagage en soute vient d’augmenter subitement de 20 à 50 euros ; des frais de paiement par carte bancaire, illégaux en France, sont facturés automatiquement. À croire que les services de la concurrence, laissant faire depuis des années, sont complices.

Le feuilleton Ryanair n’est pas terminé. Prochain épisode programmé en septembre, avec le jugement du tribunal d’Aix-en-Provence pour travail dissimulé sur l’aéroport de Marseille. Le procureur a requis une sanction très lourde avec une amende équivalente à la confiscation de quatre avions.

Thierry Vigoureux, Lepoint.fr - 24 août 2013


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