AZF : le récit de la dernière journée du procès

Jeudi 19 novembre, pendant presque deux heures, le président du tribunal correctionnel de Toulouse, Thomas Le Monnyer, avait donné lecture de larges extraits du jugement clôturant les quatre mois d’audiences du procès de l’explosion de l’usine AZF, qui avait causé la mort de 31 personnes, fait des milliers de victimes et détruit une partie de la "ville rose", le 21 septembre 2001. Un long monologue, lu d’une voix parfois hachée et curieusement mal assurée. Les 700 personnes présentes dans la vaste salle municipale abritant le tribunal sont comme suspendues à ce filet de voix monocorde.

D’emblée, le président Le Monnyer indique qu’il se refuse à poursuivre Total et Thierry Desmarets. Le groupe pétrolier, propriétaire de l’usine, et son ancien PDG étaient visés par une citation directe, déposée au premier jour du procès par une centaine de militants, majoritairement sans avocats. La décision du tribunal est conforme aux réquisitions du parquet, qui avait jugé cette citation irrecevable. Réclamée à plusieurs reprises par les avocats d’associations de victimes, la mise en examen de Total et de son dirigeant de l’époque avait toujours été rejetée par les juges d’instruction qui se sont succédé dans ce dossier.

"PRÉCIPITATION"

Le président juge toutefois sévèrement l’action des magistrats au début de l’affaire. Il dénonce "les propos inconsidérés" et "extravagants" de Michel Bréard, procureur de la République de Toulouse en 2001, qui avait affirmé en conférence de presse, trois jours seulement après l’explosion, qu’il s’agissait d’un accident "à 90 %". Il épingle aussi les gardes à vue de plusieurs salariés de l’usine décidées trop rapidement à ses yeux par les juges d’instruction, regrettant que ces magistrats aient confondu le "temps de l’expertise" avec le "temps mé diatique". "Cette précipitation a indiscutablement fragilisé le travail de manifestation de la vérité eta entraîné, au-delà, une suspicion sur l’orientation du travail des experts, des policiers et d’une manière plus générale sur l’institution judiciaire", estime le président.

Thomas Le Monnyer juge tout aussi sévèrement la défense de la société Grande Paroisse, propriétaire de l’usine et filiale du groupe Total. Il n’a visiblement pas apprécié l’attitude de la commission d’enquête interne constituée par des ingénieurs de l’entreprise, soupçonnée d’avoir dissimulé des faits, des pièces et des témoignages capitaux aux enquêteurs, dès les premiers jours de l’instruction. Ni la tentative de démolition de la défense, qui a tenté lors du procès de décrédibiliser la reconstitution de l’explosion, pièce maîtresse de l’accusation réalisée par l’expert Didier Bergues au centre militaire de Gramat (Lot). Le juge s’emporte contre "une manœuvre grossière" des chimistes de Grande Paroisse qui auraient "cherché à tromper la religion du tribunal, démontrant là encore un parti pris fort éloigné de la recherche de la vérité".

Les attendus du jugement ne sont pas tendres non plus sur le fonctionnement de l’usine AZF, pointant les "défaillances organisationnelles" de ce site classé Seveso 2, et ses "dérives", notamment dans la gestion des déchets et le recours à de nombreuses entreprises sous-traitantes. Le tribunal s’étonne de la cohabitation d’un atelier de produits chlorés au sud de l’usine et de nitrates au nord, et s’inquiète de l’absence d’une barrière étanche entre ces deux produits chimiques, réputés incompatibles. La liste des critiques qui s’abattent sur le site est tel que le jugement prend des allures de réquisitoire.

L’incompréhension du public n’en sera que plus grande quand Thomas Le Monnyer, après ce pilonnage en règle, finira, au vingtième et dernier feuillet de sa harassante lecture, par se prononcer en faveur de la relaxe pour le directeur de l’usine, Serge Biechlin, et la société Grande Paroisse. Stupeur et silence dans la salle, avant que de timides applaudissements ne commencent à se faire entendre. Ils proviennent des chaises occupées par les anciens ouvriers de l’usine AZF, regroupés au sein de l’association Mémoire et Solidarité.

COLÈRE ET DÉCEPTION

Partie civile, l’association n’a jamais voulu croire à la thèse de l’accident chimique. Cette manifestation de satisfaction est immédiatement réprimandée par le président du tribunal. Sitôt le calme revenu, une voix féminine solitaire se risque à ajouter un faible "c’est honteux" : c’est une victime extérieure à l’usine, mécontente du jugement.

A la sortie de la salle d’audience, les victimes affichaient leur colère et leur déception. Stella Bisseuil, avocate de l’association des Familles endeuillées a estimé que " "le juge a été d’une exigence excessive. La Vérité, avec un grand ’V’, n’existe pas". Me Daniel Soulez Larivière, avocat de Total et Serge Biechlin affirmait pour sa part : "Ce n’est pas une victoire, c’est l’application du droit." Christophe Léguevaques, avocat de la mairie de Toulouse, a estimé que " est un mode d’emploi livré aux industriels responsables d’un accident industriel pour ne pas se faire condamner pénalement". La majorité municipale de gauche réclame un deuxième procès.

Source : Le Monde, le 21/11/09.


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