L’incendie de la rue Sadi-Carnot aurait-il pu être évité ?

L’incendie de la rue Sadi-Carnot, qui a fait 8 morts le 21 décembre 2007 à Pointe-à-Pitre aurait-il pu être évité ? Peut-être. Si la réglementation sur le stockage et la vente des pétards avait été respectée par exemple. Ou si celui qui en avait le pouvoir l’avait fait appliquer. Ou encore si le bazar avait été pourvu d’une issue de secours...

C’était tout l’objet des débats d’hier devant le tribunal correctionnel pointois, qui examinait les responsabilités indirectes (les 7 mineurs tenus pour responsables du jet de pétard qui a embrasé le bazar chinois et causé la mort des 8 victimes seront jugés devant une juridiction pour enfants, sans doute dans le courant de l’année prochaine. Eux aussi répondront d’homicides involontaires). Celles de l’ancien maire de Pointe-à-Pitre, Henri Bangou ; du propriétaire de l’immeuble où le feu s’est déclaré, Henri de Kermadec ; et du gérant du bazar chinois, Kaï Li, où étaient vendus les pétards et artifices, dont l’embrasement a provoqué l’incendie.

LA SÉCURITÉ EN QUESTION

Ils sont poursuivis pour homicides et blessures involontaires, la question étant de savoir s’il y a eu ou non « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité » .

Le prévenu ne pouvant être condamné que s’il a commis « une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer » .

En matière de sécurité et de respect de la réglementation, il semble, en effet, qu’il y ait eu des manquements. D’abord concernant les locaux, a priori non-conformes. Et le commerce, ouvert sans déclaration et sans passage préalable d’une commission de sécurité. Quant aux pétards, ils étaient vendus malgré interdiction municipale, en quantité, et sans précaution particulière.

L’audience se poursuit aujourd’hui au palais de justice pointois. Le tribunal, qui statuera sur les responsabilités de chacun, a d’ores et déjà annoncé qu’il rendrait son délibéré le 29 octobre prochain.

- TÉMOIGNAGE - « Je crois en la justice »

La douleur des parents des victimes est poignante. Ils n’ont toujours pas fait leur deuil et comptent beaucoup sur ce procès. Certains ont souhaité s’exprimer en fin d’audience, hier, dont Christian Colombo, l’époux de Marie Colombo (50 ans) et le père de Catiuska Colombo (24 ans) : « J’ai tout perdu. Notre maison est restée dans l’état où elles l’ont quittée. Tout est à la même place. Je ne souhaite à personne ce que je vis. Je dors trois heures par nuit. J’ai tenu six ans pour arriver ici.

Ce procès nous permet de faire notre deuil. Je crois en la justice. Je ne voudrais pas que ça se reproduise. J’espère retrouver le sommeil. »

- Des locaux non conformes

M. Li avait ouvert son bazar quelques semaines avant le drame, au 15-17, rue Sadi-Carnot. Dans un immeuble appartenant à Henri de Kermadec. Même si l’expert judiciaire a pu observer « la bonne structure » du bâtiment, il a constaté que le bazar de M. Li « ne respectait pas la réglementation de base » .

En terme de désenfumage, d’installation électrique... mais surtout, il n’y avait pas d’issue de secours.

M. de Kermadec l’avait fait murer en 1979. Il louait donc des locaux non conformes et qu’il n’avait pas assurés depuis 2000.

M. Li, lui, au moins, était assuré... L’expert judiciaire est catégorique : « Si une commission de sécurité était passée, elle aurait émis un avis défavorable. »

Normalement, le bazar aurait dû être contrôlé avant son ouverture. Sauf que M. Li n’avait pas signalé à la mairie qu’il ouvrait un commerce.

« On tourne en rond » , note la présidente, qui observe quand même, qu’a priori, le bâtiment de M. de Kermadec n’a jamais fait l’objet d’aucun contrôle d’une quelconque commission de sécurité. Alors que plusieurs établissements accueillants du public (ERP) y ont successivement ouvert leur porte. C’est reproché au maire qui, interrogé sur les ERP par le juge d’instruction, a dit : « Il aurait fallu fermer tous les établissements de Pointe-à-Pitre. »

Après le drame, les commerces pointois ont été sommés de se mettre aux normes.

Mais aujourd’hui, combien le sont vraiment ? C’est une autre question...

- La vente de pétards interdite

En novembre 2007, juste avant l’ouverture de son magasin, M. Li a acheté pour 9 000 euros HT de pétards et artifices. Il le reconnaît, « ça se vendait bien » . C’est d’ailleurs pour cela qu’il a mis son étal près de l’entrée. D’après lui, il lui restait 40% de son stock au moment du drame.

Soit « 35 kg de masse active » , estime l’expert judiciaire. Normalement, il aurait fallu une autorisation préfectorale pour détenir un tel stock. Mais de toute façon, depuis 1976, la vente et le tir de pétards sont interdits à Pointe-à-Pitre. Par un arrêté du maire, Henri Bangou, qui n’a jamais été annulé. M. Li explique qu’il ne savait pas. Tout simplement. Les pétards à Pointe-à-Pitre ont toujours posé problème.

D’ailleurs, quelques jours avant le drame, le principal du collège Carnot avait alerté, notamment, le rectorat et la mairie après des jets d’artifices devant son établissement. Par des collégiens qui avaient été sanctionnés. Ceux-là même suspectés d’avoir mis le feu au bazar.

- REPÈRES

Les faits

Le 21 décembre 2007, à Pointe-à-Pitre, des collégiens sont poursuivis par le gérant du bazar Fortuna (Kaï Li), rue Carnot, où ils viennent d’essayer de voler des pétards. Pour faire diversion, ils en ont jeté un sur un étal d’artifices.

L’embrasement est immédiat. La présidente citant un témoin : « À par tir de là, ce sera l’enfer. »

8 victimes

Les corps de 7 victimes ont été extraits des décombres : Catiuska Colombo (24 ans) et sa mère, Marie Colombo (50 ans) ; Ling-Ling Ji, l’épouse du gérant du bazar et leur bébé, Marc Li ; René Robert Joigny (64 ans), Stéphane Lucbernet (39 ans) et Daryl Claudy Moulin (16 ans). Saïd Faddoul, sorti en feu du bazar, est mort deux semaines après l’incendie.

Piégées

L’étal de pétards et d’artifices se trouvant près de l’entrée du magasin (à 1,5 ou 2 mètres), les victimes se sont retrouvées prises au piège dans le bazar. « L’embrasement a été tellement soudain qu’elles ne pouvaient plus sor tir » , explique l’expert incendie. Saïd Faddoul a traversé les flammes. Les corps de Ling-Ling Ji et de son fils seront retrouvés près de la caisse et de l’entrée. Les cinq autres ont été découverts au fond du magasin. « Où elles ont sans doute cherché une issue... »

Asphyxiées

Coincées dans le bazar en feu, les victimes sont, d’après l’expert judiciaire, « mortes rapidement, asphyxiées par les fumées toxiques » . Il y avait tout un bric à brac dans le bazar. Matières plastiques, aérosols, etc. Mais surtout une multitude de petits paquets et d’emballages qui ont activé le processus d’inflammation provoquant « un enchaînement dévastateur, incontrôlable et irréversible » .

- Une absence regrettée

Henri Bangou est représenté par Me Morton qui a fait valoir, entre autres, le grand âge de son client (91 ans) et sa surdité notoire. L’ex-maire de Pointe-à-Pitre a fait parvenir au tribunal un certificat médical pour excuser son absence. Tribunal qui a estimé qu’il n’était pas « nécessaire d’ordonner sa comparution personnelle » .

Une absence toutefois vivement regrettée par certains avocats des parties civiles - qui auraient aimé lui poser des questions - et par les parties civiles. L’une d’elles s’est même dite « choquée et humiliée » .

Franceantilles.fr - 24 septembre 2013


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