Attentat du Drakkar : qui a tué les paras français de Beyrouth en 1983 ?

Le dimanche 23 octobre 1983, aux petites heures du matin, un attentat visait l’immeuble Drakkar, à Beyrouth, tuant 58 parachutistes français et la famille libanaise du gardien. Ce jour meurtrier reste un traumatisme pour l’armée française. Trois décennies ont passé mais n’ont pu soulager la douleur des rescapés et le deuil des familles.

Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, devait présider, mercredi 23 octobre, un hommage aux victimes dans les quartiers du 1er régiment de chasseurs parachutistes à Pamiers (Ariège) et le ministre délégué aux anciens combattants, Kader Arif, une cérémonie sous l’Arc de triomphe, à Paris.

Le temps n’a pas non plus levé les doutes sur les causes de l’explosion. La thèse officielle est décrite dans un rapport confidentiel défense. Une camionnette bourrée d’explosifs venait de percuter le siège des marines, près de l’aéroport, tuant 241 soldats américains. "Quelques instants plus tard, malgré les tirs d’une ou plusieurs sentinelles, une autre camionnette se jette contre l’immeuble Drakkar occupé par la compagnie du premier RCP dans Beyrouth-Ouest, à proximité du quartier chiite. La commission d’enquête libanaise conclura à deux attentats exécutés de façon similaire et par ailleurs les enquêtes menées par les autorités françaises aboutissent aux mêmes conclusions."

DES TÉMOINS DIRECTS JAMAIS ENTENDUS

Ce compte rendu lapidaire, le seul qui figure dans les archives officielles de l’armée, est mis en doute par les survivants interrogés par Le Monde. Robert Guillemette, qui était de garde sur le toit du Drakkar, assure n’avoir jamais entendu de tirs. Lucien Jacquart et Dominique Grattepanche non plus. "Je n’ai pas vu de camion", assurent Daniel Tamagni et Eric Mohamed, qui étaient sur le balcon face à l’entrée par où serait arrivé le véhicule piégé.

Omer Marie-Magdeleine était adjudant d’unité. Ce rescapé était chargé de la protection du bâtiment. Le matin encore, quelques minutes avant l’explosion, le gradé avait supervisé le dispositif qui se composait notamment de six armes antichars et de deux mitrailleuses lourdes 12.7. "Le bâtiment était entouré d’un mur et protégé par des levées de terre, explique-t-il. La rue était barrée des deux côtés. L’immeuble était protégé par une chicane et des barbelés. Il n’y avait aucune possibilité qu’un camion puisse passer sans être remarqué."

D’autres militaires français étaient installés dans un immeuble voisin, baptisé Catamaran et situé à moins de 100 mètres. Ces hommes se sont précipités sur le balcon après l’explosion du bâtiment américain. Deux minutes plus tard, Drakkar, qui était dans leur axe de vision, explosait. Aucun n’a vu de camion.

Le plus étonnant dans l’affaire est que ces témoins directs n’ont jamais été entendus au cours de l’enquête. De même, les survivants furent mis à l’isolement par l’armée, avec interdiction de parler à quiconque.

AUCUN CAMION RETROUVÉ DANS LES DÉCOMBRES

Les rescapés avancent encore des arguments techniques. Aucun camion n’a été retrouvé dans les décombres. L’entrée par où se serait engouffré le véhicule du kamikaze est située sur le côté, et l’immeuble n’aurait pas dû s’affaisser sur lui-même comme il l’a fait. Enfin, une flamme, visible sur certains clichés, est sortie du dessous de l’immeuble qui s’est soulevé avant de s’effondrer.

Les sentinelles qui étaient de garde à Drakkar ont été tuées. Une seule a survécu mais est restée amnésique. L’organisateur présumé de l’attentat, Imad Moughnieh, a été tué en 2008 dans une action attribuée aux services secrets israéliens.

Succincte, la thèse officielle comporte en outre des variantes. Selon un document de l’Office national des anciens combattants (ONAC), le camion est "soulevé dans les airs, il retombe à 7 mètres de distance. Les sentinelles n’ont pas eu le temps de réagir". Pas de tir cette fois, et un camion projeté en l’air, mais que personne n’a retrouvé.

Le déroulement de l’attentat contre le bâtiment des marines américains a été parfaitement établi par un tribunal fédéral en 2003. Le véhicule a été retrouvé et le nom du kamikaze est connu : Ismail Ascari, de nationalité iranienne. Côté français, à l’inverse, les informations sont vagues, parcellaires. En novembre 1989, des députés avaient demandé "l’établissement d’une commission d’enquête sur l’attentat". Elle n’a jamais vu le jour. Personne n’a répondu aux interrogations soulevées depuis trente ans par les familles des victimes, comme celle du lieutenant Antoine de La Bâtie.

L’IMMEUBLE AURAIT ÉTÉ MINÉ

Alors, les rescapés avancent une autre hypothèse : l’immeuble aurait été miné. Il était occupé auparavant par les services secrets syriens. Or, à cette époque, l’espionnage français entretient des liens serrés avec son homologue syrien qui joue les intermédiaires avec l’Iran. Aurait-on voulu les exonérer, au nom de la raison d’Etat, comme le suggèrent les victimes ? "Qu’on demande à Rifaat El-Assad . Il vit à Paris. On doit pouvoir lui poser la question", ironise Omer Marie-Magdeleine.

Selon le ministère de la défense, la thèse de l’immeuble miné "comporte des apparences de crédibilité mais qu’aucun élément d’enquête n’a étayées". On rappelle que l’immeuble et les égouts avaient été préalablement fouillés par le génie et les équipes de déminage, que la taille de la charge (1,4 tonne) exclut qu’elle ait pu être dissimulée, et que le percement après coup d’une galerie pour poser les explosifs aurait été forcément repéré. Une enquête de commandement et une autre de l’inspection générale de l’armée ont conclu à la thèse de la camionnette piégée.

Les services libanais auraient par ailleurs fait état de deux véhicules suspects repérés le 21 octobre, entrant dans Beyrouth par le même itinéraire. L’un d’eux était celui utilisé contre les marines. Mais le ministère de la défense convient que les zones d’ombre autour de l’attentat ne peuvent que "renforcer la peine des victimes".

Benoît Hopquin - Journaliste au Monde - 23 octobre 2013


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