AZF : l’avenir est en marche

Le paysage a subi de profondes transformations sur l’ancien site d’AZF. Aujourd’hui les bâtiments futuristes deviennent l’emblème de la lutte contre le cancer

Neuf ans après l’explosion de l’usine d’AZF, le paysage a changé de nature, entre la route d’Espagne et la Garonne. De l’ancien site chimique qui s’étendait sur 78 hectares, il ne reste maintenant que le cratère. Certains, au nom de la mémoire, souhaitent conserver ce signe tangible de la tragédie qui le 21 septembre 2001 a endeuillé la Ville rose. Depuis la catastrophe, il y a eu le procès en 2009, et bien avant, l’annonce en 2004 de la création du Cancéropôle. Ce projet colossal (1 milliard €) est devenu petit à petit le symbole de la convalescence et de la guérison du sud toulousain. En tournant la page de la chimie, Toulouse a ouvert un nouveau chapitre dédié à la cancérologie. Quelque 4 000 personnes travailleront un jour sur le site de Langlade, un endroit qui concentre désormais l’excellence scientifique et la rechercher publique et privée. En ce moment, des spécialistes de la recherche dans le médicament, (en particulier les traitements liés à la cancérologie), prennent possession du bâtiment abritant les Laboratoires Pierre Fabre. D’ici la fin de l’année, 600 personnes environ occuperont le lieu dessiné par l’architecte Roger Taillibert. Pour l’heure, cet aménagement se déroule dans la plus grande discrétion. Quelques mois plus tôt, d’autres chercheurs ont investi les laboratoires de l’Institut des technologies avancées du vivant (ITAV), qui a été rebaptisé depuis Centre Pierre Potier. Pour l’anecdote, c’est le nom du pharmacien chimiste dont les travaux ont conduit à la conception de traitement anticancéreux chez Pierre Fabre, et Sanofi Aventis. L’entreprise Sanofi -Aventis justement dispose également de nouveaux bâtiments au sein du Cancéropôle. Sur ces 220 hectares, plusieurs chantiers sont terminés ou en cours. C’est le cas de la Clinique Universitaire du Cancer. Le bâtiment accueillera d’ici l’automne 2 013 la totalité de L’Institut Claudius Regaud (ICR) et des services du CHU, (l’hématologie), et deviendra Centre de recherche en cancérologie de Toulouse.

EN CHIFFRES

21 septembre 2001> A 10h17. Catastrophe d’AZF sur le site de Langlade.
31 mars 2004>, Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et maire de Toulouse annonce la création du Cancéropôle, un investissement de 1 milliard d’euros dont une contribution publique Europe, État, région, conseil général et Grand Toulouse de 65 millions d’euros.
Mars 2008>, la dépollution du site de Langlade est terminée.
2006-2010 >Le site du Cancéropôle s’étend sur 220 hectares.les travaux démarrent avec la construction de l’Institut de recherche des laboratoires Pierre Fabre, l’extension Sanofi-Aventis, et L’Institut des technologies avancées du vivant (ITAV), aujourd’hui Centre Pierre Potier. Les trois bâtiments sont terminés et déjà occupés.
2009-2013> démarrage des travaux de la Clinique Universitaire du Cancer . qui accueillera ses premiers chercheurs et médecins (1 200 personnes) et ses premiers patients (306 lits) à l’automne 2 013. Le projet comprend l’installation totale sur le site de l’Institut Claudius Regaud (ICR), de services du CHU et des chercheurs de l’Inserm et du CNRS. On trouve à proximité La maison commune avec hôtel, salle de sport, locaux pour les associations de malades etc.

Benjamin Gaudouet

Directeur de l’association du Cancéropôle de Toulouse Midi-Pyrénées.
De nouveaux chercheurs s’installent. Quelles sont leurs impressions ?
Les chercheurs du Centre Pierre Potier expérimentent déjà l’avantage de la proximité entre la recherche fondamentale et les entreprises spécialisées dans le développement d’une application thérapeutique. Ils constatent en général que le fait de travailler au même endroit accélère les échanges en agrégeant les compétences autour d’un même enjeu.
Le Cancéropôle est -il exemplaire ?
L’essence du projet l’était déjà, en voulant réconcilier Toulouse avec une partie de son territoire dévasté par la catastrophe. Il s’agit aussi d’offrir aux chercheurs et aux médecins des conditions optimales pour lutter contre le cancer, une question de santé publique. C’est un regroupement de compétence unique en Europe.
Il reste beaucoup à faire ?
Langlade commence à peine à revivre. On est dans un projet de longue haleine, surtout pour l’aménagement paysager.

« Il faut conserver Le cratère »

C’est un petit pavé dans la mare que lance Guy Fourest, le président de la principale association de victimes de la catastrophe. Alors qu’enfin un consensus se dessine entre associations pour l’édification d’un mémorial sur le site, il demande que le cratère, lui-aussi, soit préservé. « J’ai beaucoup voyagé. En Normandie, à Verdun, souligne-t-il, on conserve les traces du passé. A Toulouse, il faut montrer le lieu de l’explosion. Avec le mémorial, ça se complète. C’est indissociable. » Guy Fourest avait d’ailleurs souhaité, initialement, que soit construit ici le futur monument prévu par la mairie près de l’ancienne entrée de l’usine.
L’infatigable président du Comité de défense des victimes, qui affirme ne pas être seul dans ce combat, assure qu’il va faire une demande auprès des autorités. « Les décideurs, s’ils le veulent, peuvent le faire ! » prévient-il.
Les Toulousains l’avaient peut-être oublié mais le cratère de l’explosion du 21 septembre 2001 existe toujours. C’est cette friche bosselée recouverte de végétation, avec un gros tube posé à l’horizontale (un élément du circuit de fabrication du nitrate d’ammonium), qu’on aperçoit depuis le périphérique. Le cratère n’est pas sous scellés à proprement parler mais il est préservé, derrière des grillages, par la justice. Et il le sera tant que l’affaire ne sera pas définitivement jugée.

DES BUREAUX EN PROJET

Ce terrain-là appartient lui aussi à la communauté urbaine du Grand Toulouse. Sur les plans, on distingue un projet de centre d’affaires. Des bureaux, autrement dit, verraient le jour en lieu et place du site de l’explosion. Pour l’instant, la communauté urbaine « n’en a pas la jouissance », rappelle Nicolas Tissot, l’adjoint au maire de Toulouse chargé du dossier AZF, qui précise qu’il n’y a pas non plus de demande de permis de construire. Pour conserver le cratère, « il faudrait repenser le plan de la ZAC », a réagi hier l’élu, plutôt sceptique sur la demande de Guy Fourest. « Ce qui compte pour nous, c’est de conserver une trace, la mémoire de l’explosion. Avoir un grand monument me paraît suffisant symboliquement », a-t-il ajouté.
L’immense cratère (60 par 50 mètres, à peu près la taille de la salle Jean-Mermoz où s’est tenu le procès) ne ressemble plus guère à celui du 21 septembre 2001. Pour les besoins de l’enquête, il a été gratté, creusé, notamment sur les côtés. Un gros tas de terre, qui en provient, a été laissé à proximité. De même que des câbles électriques, des tôles… Une nappe d’eau avait envahi le fond, à 9 mètres de la surface. Il est vraisemblable, neuf ans plus tard, qu’elle y soit toujours.

Cérémonies du souvenir aujourd’hui

C’est l’expression la plus flagrante des tensions provoquées par la catastrophe. Chaque année, les commémorations se célèbrent en ordre dispersé. Ce sera encore le cas ce matin. Les anciens salariés de Mémoire et solidarité se recueilleront sur le site, là où ils ont déjà édifié une stèle. La cérémonie « officielle », celle où sont invitées, par les associations, les autorités (qui ne sont pas organisateurs) se tiendra à 10 h 17 à la stèle de la route de Seysses. Enfin, cette année, côté associations, seuls Plus jamais ça et les Sinistrés du 21 devraient se rendre au rond-point du 21 septembre.
Pour ce 9e anniversaire, sur le site du futur mémorial, dans l’ancienne usine, où doit aussi se rendre le maire, Guy Fourest, président du Comité de défense des victimes, déposera momentanément une plaque avec les noms des 31 victimes, un geste qu’il rééditera devant la stèle.
Un signe d’apaisement - et d’une future réconciliation ? - est donné, cette année, par les anciens salariés de Mémoire et solidarité : après leur recueillement, ils déposeront une gerbe sur l’emplacement du futur mémorial. L’an prochain, le monument ne sera peut-être pas encore fini mais Nicolas Tissot, adjoint au maire, espère bien que se tiendra là la principale (et unique ?) cérémonie.

« les bureaux ne font pas vivre un quartier »

« Avant les gens de l’usine, de la DDE, de Darty, venaient boire un coup après le boulot. Il y avait de la vie. Aujourd’hui, à 17 heures, vous pouvez éteindre la lumière, il n’y a plus personne. » Patron du bar-restaurant Le Pic, route d’Espagne, depuis 1993, Alain Chêne continue d’apprécier le quartier mais il reste circonspect devant les immeubles de bureaux qui ont poussé : « ça ne fait pas vivre un quartier. Déjà, il faut les remplir. Et que deviendront-ils une fois les avantages de la zone franche terminés ? »
À deux pas du Pic, route d’Espagne, une fois passé le magasin Midi papiers peints, subsistent encore deux bâtiments abandonnés et taggués, d’anciens logements sociaux notamment. Des vestiges de l’explosion d’AZF comme on en trouve encore quelques-uns. A l’entrée de la rue Antoine-Ricord justement, le nouveau propriétaire d’une maison toujours en piteux état attaque les travaux : « Je veux en faire un cabinet médical », avance-t-il. Un bureau de plus dans une rue entièrement refaite où plusieurs maisons ont déjà été reconverties.
« Après l’explosion, les gens ont eu peur et sont partis », explique Annie, une riveraine à propos d’anciens voisins. « ça fait plus de vingt ans que j’habite ici. Je suis née à Croix-de-Pierre. Je n’allais pas partir. » Pour elle, l’arrivée du Cancéropôle et des bureaux sont une bonne chose : « Cela donne une plus value à un quartier qui en avait bien besoin. » Et « ne plus avoir l’usine à côté, ajoute-elle, c’est un grand bien. Malheureusement, il a fallu que ça explose. »
Habitante de longue date du quartier elle aussi, Laurence se fait plus explicite : « C’est plus joli de contempler le Cancéropôle. Avec AZF, c’était supermoche. Il y avait régulièrement des odeurs de poisson pourri. Tous les arbres fruitiers étaient crevés dans le jardin. Sauf qu’on n’avait jamais envisagé ce jour-là… » Elle a vu le quartier quartier se métamorphoser. « Quand j’étais enfant, il y a 40 ans, le seul immeuble, c’était la résidence Plein sud, rue Bacquié. Aujourd’hui, il y a des jeunes avec le lycée Galiéni, des costards-cravates et beaucoup moins d’ouvriers. Avant, c’était un quartier plus populaire. »

Le 21 septembre 2010, Andrée Brassens et Jean-Noël Gros, La Dépèche du Midi.


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