Concorde : Continental mise à mal

Il a donc suffi d’une lamelle métallique tombée d’un DC10 de Continental Airlines pour abattre le mythe de l’aéronautique française. Voilà le sens du jugement rendu hier dans l’affaire du crash du Concorde qui a fait 113 morts le 25 juillet 2000. Après dix ans de procédure et quatre mois d’audience, le tribunal correctionnel de Pontoise a accablé la compagnie américaine et blanchi presque totalement le constructeur et les autorités.

Pourquoi Continental a-t-elle failli ?

Le tribunal confirme la thèse de l’instruction et du procureur : une lamelle de moteur, mal conçue et mal fixée par Continental, est tombée sur la piste de Roissy. Elle a fait éclater un pneu du Concorde dont les débris ont fait exploser le réservoir situé en dessous de l’aile, provoquant une fuite de carburant qui s’est enflammé. Le chaudronnier qui a posé la lamelle, John Taylor, écope de quinze mois de prison avec sursis pour homicides involontaires. « Le lampiste paye pour tout le monde », a dénoncé son avocat, Me François Esclatine. Continental, épinglée pour sa « maintenance défectueuse », est condamnée à verser 200 000 euros d’amende et 1 million de dommages et intérêts à Air France. Le tribunal a balayé la thèse de Continental selon laquelle le Concorde aurait pris feu avant de rouler sur la lamelle. L’avocat de la compagnie, Me Olivier Metzner, va faire appel d’un jugement qu’il juge « patriotique » et « protectionniste » : « C’est une décision qui protège purement les intérêts français. Il sera démontré dans les temps qui viennent qu’Air France a commis des fautes invraisemblables, que des preuves ont disparu », a-t-il lancé.

Pourquoi les Français sont-ils relaxés ?

C’est la surprise de ce jugement. Henri Perrier, ancien chef du programme Concorde chez Aérospatiale (désormais EADS-Airbus), a été relaxé, tout comme son collègue Jacques Hérubel et le cadre de l’aviation civile chargé de surveiller l’avion, Claude Frantzen. Perrier « aurait pu empêcher l’accident », avait pourtant dit le procureur qui avait requis deux ans de prison avec sursis à son encontre. Derrière le cas Perrier se cachait une question cruciale : le constructeur et les autorités ont-ils correctement traité les incidents d’éclatement de pneus survenus avant le crash ? Le Concorde en a connu 67, dont 7 avec perforation du réservoir, notamment un très grave à Washington dès 1979. Mais le tribunal a jugé que l’éclatement du réservoir était techniquement différent le jour de l’accident, donc « imprévisible ».

Autre reproche : l’absence de renforcement du réservoir, qui fut envisagé puis abandonné après Washington (pour protéger la carrière du Concorde, disent les parties civiles), et qui ne sera mis en œuvre qu’après le crash. Mais rien ne permet d’affirmer que cela aurait permis de « prévenir » l’accident, estime le tribunal. Les magistrats jugent toutefois qu’une « négligence » a été commise dans la prévention du risque incendie, mais pas assez grave pour constituer une faute pénale. EADS est donc condamnée, uniquement au civil, à verser 30 % des indemnités aux familles des victimes.

C’est un « petit regret », a réagi l’un des avocats d’Henri Perrier, Me Thierry Dalmasso, qui s’est félicité de « la fin du calvaire » de son client. Pour Me Roland Rappaport, avocat du commandant de bord, cette relaxe est « incompréhensible » : « Comment peut-on dire que le chaudronnier commet une faute caractérisée, tandis que côté français, ce sont de simples négligences ? »

Les procès des crashs sont-ils inutiles ?

« Il faut qu’on arrive à décriminaliser la plupart des accidents d’avion », a lâché Me Daniel Soulez-Larivière, l’avocat de Claude Frantzen. Pour Airbus et les autorités, la pénalisation des crashs serait nuisible à la sécurité car elle découragerait le traitement des incidents. Les parties civiles rétorquent que le procès a mis au jour les problèmes du Concorde et la « faillite » du système. Entre les victimes et le milieu aéronautique, la fracture est béante. « C’est un jugement a minima qui laisse un goût d’inachevé. Il doit aboutir à des prises de conscience en matière de sécurité. S’il est considéré comme dédouanant l’ensemble des Français, nous n’aurons pas atteint notre objectif », assène Stéphane Gicquel, de la Fédération nationale des victimes d’accidents collectifs. Quant à l’avocat d’Henri Perrier, il voit dans la relaxe « la reconnaissance » d’une carrière « exemplaire », et la preuve que le suivi de la sécurité aérienne est bien assuré.

Yann PHILIPPIN Libération 7 décembre 2010


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