Ce lundi 13 mars 2017, le procès de Illich RAMIREZ SANCHEZ, dit « Carlos », s’est ouvert devant la Cour d’assises spéciale à PARIS. Il est accusé d’avoir commis un attentat le dimanche 15 septembre 1974 au Drugstore Publicis situé au 149 boulevard Saint-Germain à PARIS. Cet acte a provoqué la mort de deux personnes et trente-quatre blessés.
Ce procès s’ouvre quarante-deux ans après les faits et alors que Carlos est en détention depuis vingt-deux ans après ses condamnations à perpétuité. En effet, Carlos a déjà été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’attaque de trois policiers rue Toullier à PARIS en 1975. Il a également été condamné à la même peine pour complicité dans les attaques commises rue Marbeuf et dans trois trains en 1982 et 1983.
La FENVAC est partie civile, en soutien des victimes, et parce que le temps ne peut pas constituer une immunité pour les terroristes. Elle a mandaté Maitre HOLLEAUX qui est également avocat de 18 des victimes de cet attentat.
Chaque jour nous rendrons compte synthétiquement du déroulement de l’audience.
Le procès se poursuit jusqu’au 31 mars 2017.
13 mars - 1ère journée
La défense a tenté, dès l’ouverture de l’audience, de remettre en cause la compétence de la Cour d’assises spéciale, composée uniquement de magistrats professionnels, sans jurés populaires. Les magistrats se sont cependant reconnus compétents et ont rejeté ces demandes en nullité.
Carlos et ses avocats ont également critiqué le nombre de parties civiles, vingt-sept au total, le premier qualifiant celles-ci de « charognards ».
L’audience s’est poursuivie par l’appel des témoins et experts. L’audition de certains témoins est compromise en raison de leur état de santé, mais les avocats de la défense s’opposent fermement à ce qu’ils soient entendus par visio-conférence. La Cour tranchera cette difficulté dans les jours à venir.
Le rapport du Président, lu à la reprise de l’audience en début d’après-midi, a permis de remettre le procès dans son contexte. Il a notamment rappelé que les exceptions de prescription de l’action publique ont été rejetées en raison de la connexité entre les différents actes pour lesquels Carlos a été poursuivi et condamné depuis son arrestation en 1994 au Soudan.
La parole est laissée à Carlos afin d’évoquer sa personnalité et son parcours jusqu’au moment des faits qui lui sont reprochés et depuis sa détention. Celui-ci retrace son ascension en tant que « révolutionnaire professionnel » et son appartenance, dès l’âge de quatorze ans à la jeunesse communiste vénézuélienne puis au front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Il évoque ses nombreux voyages (France, Royaume-Uni, Russie, Jordanie) et sa conversion à l’Islam en 1975.
Lorsqu’il lui est demandé s’il a des regrets à propos des actes pour lesquels il a été condamné ou pour lesquels il est actuellement poursuivi, Carlos répond qu’il regrette seulement d’avoir épargné certaines personnes.
14 mars - 2ème journée
Prévue à 9h30, l’audience débute à 10h30, les juges devant statuer sur le compte rendu établi à l’issue de l’examen médical exigé par M. Illich RAMIREZ SANCHEZ dit Carlos qui s’est plaint de douleurs à l’épaule gauche. Le médecin conclut à l’absence de contre-indication particulière et préconise un menottage à l’avant. Le prévenu a refusé toute prescription d’antalgique, précisant qu’il n’a jamais « pris de drogue ».
L’audience débute par l’admission d’une nouvelle constitution de partie civile représentée par Me DEBRÉ.
Les débats reprennent ensuite avec une question de Maitre COUTANT-PEYRE qui interroge Carlos sur les éventuelles tentatives de meurtres dont il a pu être victime ainsi que son entourage. Le prévenu explique que les autorités françaises et notamment M. MITTERRAND puis les services secrets extérieurs auraient plusieurs fois tenté de l’assassiner. Il raconte également que Charles PASQUA aurait tenté de le recruter pour « éliminer Badinter, sioniste »
La parole est ensuite donnée au témoin, M. R, membre depuis 1988 de la DGSI anciennement DCRI. Il a mené des enquêtes en 2001 et 2012 sur commission rogatoire du juge d’instruction. Il a donc dû reprendre l’ensemble des archives compilées par les services en charge à l’époque des faits. Le témoin fait une longue description de l’historique des activités de Carlos, du FPLP Front de Libération de la Palestine (FPLP) dirigé par Wadi H et de l’Armée Rouge Japonaise entre 1972 et 1975. Il dresse également un portrait de Carlos décrit comme un individu imprévisible qui ne supporte pas la contradiction et se caractérise par une "surestimation de soi ».
L’enquêteur sera ensuite interrogé à plusieurs reprises sur les liens entre la prise d’otage de l’ambassade de France à la Haye et l’attentat du Drugstore. Cette prise d’otage a été exécutée par 3 membres de l’armée rouge japonaise et le FPLP dans l’objectif de faire un libérer un japonais arrêté à Orly quelques temps auparavant. Le policier explique que c’est dans le contexte de cette prise d’otage, en cours depuis 2 jours, qu’intervient l’attentat du Drugstore
Le membre de la DCRI explique également que la grenade lancée au Drugstore appartient au même lot que celles du commando de l’Armée Rouge Japonaise qui a agi à la Haye ainsi que celle retrouvée plus tard dans une cache de Carlos, rue Toullier.
Le policier a également auditionné Wako, le chef japonais du commando auteur de la prise d’otages de La Haye. Celui-ci dit "avoir eu le sentiment" que l’attentat du Drugstore était de la main de Carlos qui entendait faire ainsi pression sur le gouvernement français. Wako a précisé que le commando a su le matin même que l’opération allait avoir lieu et « qu’ils agissaient en parfaits légionnaires ».
Le président reprend la chronologie des attentats qui peuvent être réliés à Carlos en évoquant l’attentat au siège de journaux et à l’ORTF en 1974, deux attentats à Orly contre des avions de la compagnie israélienne El Al en janvier 1975 et la prise d’otages des ministres de l’OPEP à Vienne en décembre 1975. Il évoque ensuite une une tentative d’assassinat contre un journaliste libanais en 1980, un colis piégé contre 2 roumains en 1981 et plusieurs attentats entre 1982 et 1984.
L’avocat de 18 parties civiles, Me HOLLEAUX, souhaite revient ensuite sur les revendications de l’attentat du drugstore par Carlos dans un article de presse. Il interroge le policier qui reprend les termes de l’article d’Al Watane qui sera ensuite traduit dans le Figaro et par lesquels Carlos précise que « à 5h, j’envoyais 2 grenades ». L’enquêteur reprend les propos suivant attribués à Carlos : « je revendique tous les blessés et tous les morts au nom du FPLP en Europe » dont il serait le « responsable opérationnel ».
Maitre VUILLEMIN, avocat de la défense soulève ensuite un certain nombre d’erreurs et d’incohérences dans les articles de revendications de l’attentat de Al Watane et du Figaro. Il pointe des erreurs s’agissant du nom du père de Carlos, du nombre de grenades lancées au Drugstore, du nombre de tués rue toullier, de la mention d’un revolver et non d’un pistolet. L’avocat interroge à plusieurs reprises le témoin sur ces éléments sans que ce dernier ne soit en mesure d’expliquer ces incohérences autrement que par des « erreurs de traduction ». Il précise également qu’il n’est pas expert en balistique ni armurier.
Carlos, invité à commenter l’ensemble des éléments évoqués durant cette journée, indique qu’il s’agit de « manipulation » et « d’absurdités » tout en reconnaissant le « bon travail » de l’enquêteur qui n’est « pas un ennemi de la France ». Il précise que la vérité sera révélée dans ses mémoires posthumes.
15 mars - 3ème journée
I – L’audition de Patrick M
La matinée est consacrée à l’’audition de Monsieur Patrick M, témoin cité par le Ministère public en tant que membre de la brigade criminelle en 1998, ayant enquêté, sur Carlos, suivant commissions rogatoires du juge d’instruction Jean-Louis BRUGUIÈRES.
1.1. L’autorisation de l’audition par visio-conférence
Patrick M, qui habite dans le département des Pyrénées orientales, n’a pas pu se déplacer devant la Cour en raison de problèmes de santé et il a demandé à pouvoir être entendu par visio-conférence depuis le Tribunal de Grande Instance de PERPIGNAN.
Les avocats de la défense, Maîtres Isabelle COUTANT-PEYRE et Francis VUILLEMIN, s’opposent à cette audition par visio-conférence. Ils considèrent que ce procédé entraîne une violation de l’article 6§3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) qui prévoit que l’accusé a le droit d’être confronté aux témoins. Ils expliquent aussi que ce procédé ne permet pas de vérifier que Patrick M ne subit pas de pression.
Maître Georges HOLLEAUX, avocat de plusieurs parties civiles, insiste sur le fait que Monsieur M est dans l’impossibilité absolue de se présenter devant la Cour en raison d’une intervention médicale impérative. En effet, celui-ci souffre d’une éventration abdominale. Il précise que l’audition par visio-conférence est autorisée, selon les circonstances de fait, tant par la Cour de cassation que par la Cour européenne des droits de l’Homme.
L’Avocat général demande le rejet de la demande de la défense sur le fondement de l’article 706-71 du Code de procédure pénale. Il précise que Patrick M est le seul policier de la brigade criminelle qui peut être auditionné et que les circonstances de fait justifient qu’il soit entendu par visio-conférence.
Carlos s’oppose à ce procédé, il considère que cela n’est acceptable sous aucune condition et que même s’il s’agissait de l’audition de sa propre mère il refuserait qu’elle soit entendue par visio-conférence.
La Cour rejette la demande de la défense en considérant que l’état de santé de Patrick M, dont la gravité n’est pas contestée, justifie qu’il soit entendu par visio-conférence au sein du Tribunal de Grande Instance de PERPIGNAN.
1.2. L’audition de Patrick M
Patrick M(aujourd’hui âgé de 61 ans et retraité) faisait partie de la Brigade criminelle lorsqu’elle a été saisie par le juge d’instruction en 1998. Il est le policier qui a rédigé le plus de procès-verbaux après la réouverture de l’information en 1995.
Dès que la Brigade criminelle est saisie, il se déplace à la maison d’arrêt de CAEN pour interroger Hans-Joachim K, arrêté peu de temps auparavant. Il était membre de l’organisation Revolutionäre Zellen (Cellules Révolutionnaires) et avait participé à la prise d’otages des ministres de l’OPEP à VIENNE en 1975.
Hans-Joachim K indique lors de son audition, que Brigitte K et Wilfried B lui ont dit que c’était Carlos qui avait commis l’attaque du Drugstore en vue de faire pression sur les pouvoirs publics français afin d’obtenir la libération d’un japonais membre de l’armée rouge japonaise interpellé à ORLY en juillet 1974. Patrick M explique cependant que K n’est qu’un témoin indirect et qu’il n’a pas nécessairement entendu Carlos revendiquer l’attaque.
Il explique que Wadie H, chef du FPLP, connaissait la chef de l’armée rouge japonaise, Fusako S, et était favorable à cette action de soutien.
S’agissant de la grenade utilisée au Drugstore, Patrick M confirme qu’il s’agit d’une grenade issue du même lot que celles utilisées lors de la prise d’otage à l’ambassade de France à LA HAYE.
Interrogé par le Président sur l’existence d’une revendication de l’attaque du Drugstore par l’armée rouge japonaise par téléphone, Patrick M indique qu’elle est passée inaperçue à l’époque et que cela est un « loupé ». L’avocat général interrogera par la suite Patrick M sur les modes de revendications des attentats à l’époque des faits. Ce dernier indique que cela était généralement fait via les groupes de presse, par téléphone ou courrier. Le Ministère public souligne la difficulté de remonter les appels téléphoniques à l’époque des faits.
Les avocats de la défense refusent de faire des observations, ou de poser des questions à Patrick M afin de montrer leur opposition à l’utilisation de la visio-conférence. Carlos ne s’exprime pas sur le fond, il précise simplement que, bien que plus vieux que Patrick M, il est présent dans la salle d’audience.
Après la coupure de la visioconférence, les avocats de la défense font des observations. Ils s’interrogent d’abord sur la date de constitution de l’album photo présenté aux témoins : Patrick M avait indiqué qu’il l’avait constitué en 1998, mais à la lecture des procès-verbaux il est indiqué qu’un album « constitué à l’époque des faits » est présenté aux témoins.
La défense met ensuite en évidence des incohérences sur ces albums. Aucun portrait-robot n’a pu être établi à la suite des premières auditions de témoins, mais aucun ne parle d’une femme, d’un homme barbu ou moustachu ou d’un homme noir. Cependant dans l’album présenté il y a 11 femmes, 5 hommes barbus et un homme noir, ainsi sur les trente photographies présentées, 17 n’ont aucun lien avec les déclarations des témoins. Plus encore, sur les 13 restantes, 10 représentent Carlos.
Carlos conclut la matinée en indiquant des erreurs sur des photographies : certaines photographies le représentant ne seraient pas lui non plus. Les photographies lui seront présentées dans l’après-midi pour qu’il précise ses propos.
II – L’analyse des premiers éléments d’enquête
L’après-midi est consacrée à l’analyse des premiers éléments de l’enquête ouverte en 1974 à la suite des événements du Drugstore Publicis.
2.1. L’interpellation et l’interrogatoire de Fusako S, chef de l’armée rouge japonaise
Dans un premier temps, le Président revient sur l’interpellation, en novembre 2000, de l’instigatrice de la prise d’otage à l’ambassade de France à LA HAYE, Fusako S, chef de l’armée rouge japonaise.
Pour rappel, le 13 septembre 1974, l’ambassade de France est attaquée par trois membre de l’armée rouge japonaise (ARJ) et onze personnes sont prises en otage, dont l’ambassadeur, afin de faire pression sur les dirigeants français pour obtenir la libération d’un membre de l’ARJ, Yoshiaki Y, interpellé à l’aéroport d’ORLY le 26 juillet 1974 pour détention de faux papiers et de documents de préparation en vue d’enlèvements de dirigeants filiales d’entreprises japonaises en Europe.
Une commission rogatoire internationale est délivrée par le juge d’instruction, Jean-Louis BRUGUIÈRES, aux fins de se rendre au JAPON et d’interroger Fusako S.
Cependant, en raison du droit japonais applicable et du silence de Fusako S (condamnée par la suite à 20 ans de prison), l’interrogatoire de celle-ci n’a pas été possible et les enquêteurs n’ont pu obtenir que certains comptes rendus d’audition issus de la procédure japonaise.
2.2. L’analyse des premiers éléments de l’enquête établis entre 1974 et 1982
Le Président donne lecture des rapports de premières constatations établis par les policiers. Il fait ensuite visionner les clichés photographiques pris peu après l’attaque ainsi que le plan du Drugstore Publicis. Il ressort de cette lecture que la grenade a été lancée depuis le restaurant du Drugstore (situé au premier étage) vers le rez-de-chaussée, non loin du bureau de tabac.
Les déclarations du PDG de Publicis, Marcel BLEUSTEIN-BLANCHET sont également lues. Ce dernier indique qu’il n’a pas reçu de menace personnelle ou contre son entreprise. Il précise que ses salariés ne lui ont pas indiqué de menaces.
Marcel BLEUSTEIN-BLANCHET fait cependant part aux policiers de télégrammes et télex reçus récemment par Publicis et lui-même et qu’il n’arrive pas à expliquer. Il ne sait pas si cela a un lien avec l’attaque du Drugstore. Dans deux télégrammes il est indiqué que « Le furet du Nord » attend à l’aéroport de GENÈVE et « n’a plus de grains ».
En 1982 un procès-verbal est établi et indique que l’identification de l’auteur de l’attaque n’a pas été possible, mais que l’affaire reste en observation. Une ordonnance de non-lieu sera rendue par la suite, avant qu’une information soit à nouveau ouverte en 1995.
Après ces observation, l’avocat général demande à Carlos s’il a déjà été au Drugstore Publicis. Carlos répond que cela lui est arrivé plusieurs fois.
La défense prend enfin la parole, elle commence par préciser que, contrairement aux affirmations de Marcel BLEUSTEIN-BLANCHET, l’attaché de direction de Publicis auditionné à l’époque des faits, explique qu’il y avait des menaces terroristes fréquentes reçues contre l’entreprise.
Maître VUILLEMIN poursuit en critiquant l’absence d’investigation s’agissant d’un certain Robert P. Celui-ci, domicilié à LILLE, avait été auditionné par les enquêteurs. Connu pour avoir des idées nazies et pour être le dirigeant du Groupe de Défense Européen. Celui-ci fréquentait un bar situé en face d’une librairie « Les furets du Nord » à LILLE. S’agissant de son alibi, il a été considéré comme solide par les enquêteurs : pourtant les deux amis avec qui il indique avoir passé l’après-midi du dimanche affirment qu’ils n’étaient pas ensemble. Seul les parents du suspect et le patron du bar indiquent qu’il était à LILLE ce jour. La défense considère que cette piste a été trop vite mise de côté, pour des raisons inexplicables.
Le Président demande à Carlos quel était son rôle dans la prise d’otage à l’ambassade de France à LA HAYE. Carlos refuse d’expliquer son rôle mais indique que cela n’a aucun lien avec l’attaque du Drugstore.
L’audience est levée, elle reprendra le jeudi 16 mars 2017 avec l’audition de Hans-Joachim K.
16 mars - 4ème journée
L’audience reprend ce jeudi 16 mars 2017 à 9h55 avec l’audition de Han Joachim K., ancien membre des « Cellules révolutionnaires » mouvement d’extrême gauche allemand. Les débats sont parfois confus, celui-ci s’exprimant dans un français très approximatif et malgré la présence d’un interprète.
Le président demande au témoin de revenir sur sa biographie puis sur ses liens avec Ilich Ramírez Sánchez, que celui-ci dénomme « Johnny ».
M. K. est aujourd’hui âgé de près de 70 ans et souffre d’une maladie cardiaque. Il faisait partie, au moment des faits des cellules révolutionnaires, et aurait été proche de l’Armée Rouge Japonaise et du FPLP. Il participe en 1975 à la prise d’otage de Vienne lors d’une conférence des ministres de l’OPEP. Après 10 minutes d’opération, il est grièvement blessé. Ilich Ramírez Sánchez dit Carlos précise a plusieurs reprises lors de l’audience qu’il lui aurait « sauvé la vie » en donnant l’ordre d’atterrir à Alger au lieu de Tripoli, destination initialement prévue. Le témoin conteste cette intervention et précise que « c’est grâce au docteur autrichien ».
En 1977, Han Joachim K. se dissocie publiquement de la lutte armée. Il explique au président de la Cour qu’il abandonne le projet après que « les révolutionnaires » avaient décidé de « séparer les juifs des non-juifs ». Il se cache ensuite en France et affirme qu’on aurait essayé de l’éliminer parce qu’il était considéré comme « un traître ». Il fuit vers Paris en 1977 puis vers un village du nord de la France en 93 avec une fausse identité. Il aurait reçu le soutien d’André Glucksmann, Jean-Paul Sartre et Daniel Cohn-Bendit.
En 1998, il est interpellé suite à un mandat d’arrêt international, extradé en Allemagne puis condamné à 9 ans de prison pour son rôle dans la prise d’otages de Vienne. Il sera libéré en 2003 et gracié en 2008. Il sera entendu par la DGSI en 1998 puis en 2002.
Lors d’une de ses auditions M.K affirme que c’est « Johny »(Carlos) qui a lancé la grenade et Michel M. qui a revendiqué l’action par l’intermédiaire de France Soir. Il précise que la grenade utilisée provient du même lot de grenades que celles utilisées lors de la prise d’otage de La Haye et volées dans un camp américain.
En 2002, il affirme qu’il aurait rencontré Carlos en mars/avril 1975 avec Wilfried B, leader des Cellules Révolutionnaires, dans un appartement parisien. Lors de cette rencontre, Carlos a expliqué comment démonter une arme de type « Skorpion ». Il reverra ensuite Carlos à Londres, en préparation d’une opération contre l’ambassade des Emirats Arabes Unis.
En 1976, M. K aurait rencontré Carlos dans un camps d’entrainement en Yougoslavie ou à Bagdad, et lui aurait demandé pourquoi il a fait « cette saloperie ». Carlos lui aurait alors directement raconté qu’il était l’auteur de l’attentat du Drugstore.
Le président et ses assesseurs posent ensuite plusieurs questions plus précises sur ses déclarations. M. K affirme alors qu’il aurait rencontré Carlos à Paris après la prise d’otage de la Haye, le 13 octobre 1974 et avant l’opération de Vienne, le 21 décembre 1975. Compte tenu de l’ancienneté des faits, il n’a pas de souvenirs plus précis.
Les questions se focalisent ensuite sur la langue de l’échange entre M.K. et Carlos en 1976. Le témoin affirme qu’en 1975, lors de leur première rencontre, il ne parlait pas anglais. Il aurait ensuite appris la langue à l’aide de « livres et quelques cassettes ». En 1976, il était alors en mesure d’échanger avec Carlos qui parle l’anglais. La rapidité à laquelle M.K aurait appris l’anglais pose alors des questions. Un des assesseurs demande alors au témoin de traduire le mot « grenade » en anglais mais celui-ci en est incapable. M. K est alors interrogé sur le contexte dans lequel Carlos lui aurait affirmé être l’auteur de l’attentat du Drugstore mais le témoin ne s’en souvient pas. Le procureur général interroge également le témoin sur ses connaissances linguistiques et conclut que ces groupes internationalistes fonctionnaient façon « auberge espagnole ».
Monsieur K est également questionné sur la raison de son arrestation 20 ans après son installation en France. Il explique que cet événement est lié à la situation politique allemande. Enfin, le témoin est interrogé sur ses sentiments à l’égard de Carlos. M. K. souligne que si Carlos l’a toujours qualifié de « traitre » il ne l’a jamais qualifié de « menteur ».
La défense prend ensuite la parole et revient sur les déclarations de M. K. Maitre COUTANT-PEYRE soulève des incohérences entre les déclarations du témoin telles qu’elles ressortent des procès-verbaux d’audition de 1998, de 2002 et l’audition de ce jour. L’avocat a d’ailleurs, tout au long du procès, demandé que certains propos de M. K soient actés par le greffier. Me VUILLEMIN accuse également le témoin de faux témoignage en comparant celui-ci à M. TRUMP et son usage de faits alternatifs. Me COUTANT-PEYRE affirme alors vouloir déposer plainte pour témoignage mensonger en application de l’article 434-13 du code pénal et demande au président de faire application de l’article 342 du code de procédure pénale en ordonnant au témoin de demeurer dans la salle d’audience jusqu’au prononcé de l’arrêt. L’avocat transmet ses conclusions à la cour qui suspend l’audience pour statuer sur cette demande après avoir entendu le procureur général qui s’oppose à cette procédure. La cour d’assises rejette la demande de la défense au motif que ce témoignage ne peut être considéré comme mensonger compte tenu du contexte particulier de cette audition, plus de 40 ans après les faits et au sujet de dépositions très éloignées entre elles dans le temps. Maitre HOLLEAUX, avocat des parties civile dénonce une opération de communication flagrante de la part de la défense.
M. Ilich Ramírez Sánchez est ensuite invité à interroger le témoin qu’il accuse d’avoir tué trois personnes et d’être alcoolique. Il lui demande de revenir sur les points évoqués avec lesquels il est en désaccord. Carlos conclut que M. K. est manipulé à défaut d’autre élément à charge à son encontre. Lorsque le témoin quittera la salle, Carlos entonnera, souriant, un champ révolutionnaire avant d’être interrompu par le président.
Enfin, Maitre HOLLEAUX ainsi que le président de la cour demandent, à plusieurs reprises, à Carlos de préciser son rôle de « commandant des opérations en Europe » et de responsable opérationnel de la prise d’otage de Vienne. Le prévenu élude la question en précisant néanmoins qu’il a souvent été choisi pour sa particulière « habilité » et son « sérieux dans les opérations ».
17 mars - 5ème journée
Ce vendredi 17 mars 2017 l’audition par visio-conférence de Madame Amparo S.-M. est prévue.
Afin de justifier de son impossibilité de déplacement devant la Cour d’assises, Amparo S.-M. avait produit, avant l’ouverture des débats, un certificat médical de son médecin traitant faisant état de difficultés psychologiques et d’un stress important. Cet état entraînant, selon ce médecin, l’impossibilité pour le témoin de se déplacer à PARIS.
La défense de Carlos avait, dès le premier jour d’audience, soulevé le fait que ce certificat médical était très léger, le qualifiant de certificat médical « de complaisance ».
Le Président avait alors ordonné une expertise psychiatrique en urgence afin de vérifier que l’état de santé de Amparo S.-M. ne permettait pas qu’elle se déplace de sa ville de résidence à PARIS, pour témoigner devant la Cour.
Le médecin expert a rendu son expertise jeudi 16 mars 2017, il conclut que l’état de santé de Amparo S.-M. est compatible avec son déplacement devant la Cour d’assises en vue de son audition en qualité de témoin.
À l’ouverture de l’audience ce matin, le Président indique que le dispositif de visio-conférence est prêt à être utilisé le cas échéant.
Le Ministère public s’en remet à la décision de la Cour pour savoir si l’audition par visio-conférence est suffisante ou s’il faut prévoir le déplacement du témoin la semaine prochaine en vue de son audition.
La défense de Carlos s’oppose à l’audition de ce témoin, qualifiée de « fondamental pour l’accusation », par visio-conférence. Elle insiste sur le fait que son déplacement est possible et qu’elle a tenté d’échapper à son audition devant la Cour avec un certificat médical de complaisance. Il est également rappelé que les déclarations de Amparo S.-M. lors de l’instruction sont très contradictoires.
Le Président demande à ce que la visio-conférence soit mise en place afin d’informer directement Amparo S.-M. qu’elle devra se déplacer devant la Cour mercredi 22 mars 2017 à 09 heures 30 afin d’être entendue en qualité de témoin. Un peu réticente, Madame M., accepte cependant de se déplacer.
En fin d’audience, Maître Francis VUILLEMIN, avocat de Carlos, verse aux débats des articles de presse relatifs aux époux B., témoins, dont l’audition est prévue mardi 21 mars 2017.
Les débats reprendront lundi 20 mars 2017 à 09 heures 30 avec l’audition de Monsieur Jacques D., en qualité d’expert.
20 mars - 6ème journée
L’audience reprend ce jour, lundi 20 mars, à 10h15 du fait du transport tardif de M. RAMIREZ SANCHEZ depuis Fresnes. La journée est consacrée à l’analyse des éléments techniques relatifs à la grenade utilisée lors de l’attentat du Drugstore.
Monsieur Jacques D., expert au service des explosifs de la police judiciaire, est entendu tout au long de la matinée. Monsieur D. intervient en qualité de témoin, celui-ci n’étant pas lui-même l’expert en charge au moments de l’attentat du Drugstore.
Les débats s’ouvrent par des questions adressées à l’expert afin de définir certains éléments techniques essentiels. Les discussions portent sur une grenade offensive, type de grenade contenant plus d’explosifs qu’une grenade défensive, une fragmentation plus importante et un rayon d’impact plus important.
Le président reprend les éléments pertinents de trois rapports datés du 17 septembre 1974, du 30 décembre 1974 et du 30 juin 1975. Le premier rapport porte sur 3 expertises menées sur les fragments métalliques retrouvés sur les corps des victimes. Ces fragments permettent de conclure à une similitude avec les grenades saisies à La Haye. Le rapport indique également que le bouchon allumeur (appelé « cuillère ») porte également exactement les mêmes inscriptions que celles portées sur les grenades abandonnées après l’opération de La Haye. Le second rapport précise la signification de ces inscriptions : « FUZ.. » indiquant le modèle, « HRV » l’atelier de fabrication et le numéro de lot et « 03.66 » le mois et l’année de fabrication. Les experts ont également établi que la composition chimique, la dimension et la pré-fragmentation vers l’extérieur permettent d’affirmer que le bouchon allumeur correspond à celui qui compose les grenades de type américaine M204 et M26. Les inscriptions permettent de remonter à trois lots de grenades distribués dans les états du Texas et de Géorgie aux Etats-Unis et à Miesau, en ex-RFA. La « cuillère » retrouvée dans les décombres du Drugstore ainsi que les grenades retrouvées à La Haye proviennent donc « très vraisemblablement » d’un de ces trois lots.
Le dernier rapport de juin 1975 a été rédigé à la suite de la perquisition menée Rue Amélie dans le 7e arrondissement de Paris. Un arsenal important a été retrouvé dans ce qui constituerait une « cache » de M. RAMIREZ SANCHEZ. Une grenade ainsi que des boites à grenade sont retrouvées. Les inscriptions relevées sur ces objets sont identiques à celles du levier déclencheur (« cuillère ») retrouvé dans les décombres du Drugstore et celles des grenades retrouvées à La Haye. Un procès-verbal de 2011 fera également un rapprochement avec le levier déclencheur utilisé lors de l’attentat de Orly.
Toutes les explications données tant par la lecture des rapports que par M. Jacques D. sont illustrées par de nombreuses images projetées lors de l’audience. Monsieur Jacques D. est ensuite questionné par l’ensemble des parties. Un des conseillers s’interroge sur le moment de l’assemblement du corps de la grenade et du levier déclencheur. L’expert ignore à quel moment précis ces deux éléments sont assemblés mais il précise que cette étape étant « industrielle » elle intervient avant le transport des grenades.
Le délai particulièrement court entre le déclenchement et l’explosion de ce type de grenade, seulement 4,5 secondes en l’espèce, soulève également certaines interrogations. Maitre HOLLEAUX précise alors que l’auteur des faits n’avait qu’un demi-étage à descendre, depuis le restaurant se trouvant à l’étage, après le lancement de la grenade vers le kiosque à tabac à l’entresol.
L’avocat des parties civiles souhaite également revenir sur la triple identité établie à la lecture des trois rapports : identités des trois leviers déclencheurs (« cuillère ») retrouvés au Drugstore, La Haye et Rue Amélie, identité de la grenade retrouvée à La Haye et rue Amélie et identité de la composition métallurgique et du type de fragmentation de l’ensemble des grenades.
Le procureur insiste également sur ces identités et sur la particulière précaution nécessaire à la manipulation d’une grenade qui est une arme de guerre.
Les avocats de la défense sont ensuite invités à poser des questions à l’expert. Maitre COURTANT-PEYRE s’interroge sur l’absence des éléments matériels examinés. L’avocate trouve « étrange » que cette « cuillère » et les grenades de la Haye ne soient pas à disposition lors de ce procès. Maitre VUILLEMIN émet également des doutes sur la pertinence des expertises menées en précisant que 17 fragments ont été étudiés dont seulement 7 identifiables alors qu’une grenade contient 855 fragments métalliques. L’expert, légèrement agacé, indique : « A mon sens, un seul éclat suffisait à identifier la grenade ».
L’avocat de la défense s’interroge également sur l’absence du corps de taule de la grenade, du « bouchon allumeur » et du contenu explosif de la grenade sur les lieux. Monsieur D., expert en explosifs, explique ces absences par l’intensité de l’explosion et la très haute température de combustion de la grenade.
Monsieur RAMIREZ SANCHEZ clôt les débats techniques relatifs à la grenades en indiquant qu’il a manipulé des centaines de boites de grenade pendant la guerre civile au Venezuela et que tout ceci est « bidonné », la grenade ayant servi de moyen de manipulation. Il affirme : « J’ai eu des centaines de grenades entre les mains, vénézuéliennes, égyptiennes, irakiennes, roumaines, soviétiques, chinoises... On peut dire que je m’y connais » et que « Tout ce que l’on voit n’est pas forcement vrai et ce qui est vrai ne se voit pas toujours".
L’après-midi est consacrée aux rapports de police rendus dans le cadre de l’enquête sur le vol de grenades en Allemagne.
Trois rapports ont été rédigés dans le cadre de cette enquête ouverte après un inventaire des armes ayant révélé la disparition de 75 grenades. Le président fait la lecture de l’intégralité des procès-verbaux et relève quelques incohérences entre les rapports. La période du vol est notamment parfois erronée. Il ressort de l’ensemble des pièces du dossier que le vol a eu lieu entre le 15 janvier 1971 et le 26 juin 1972, ce qui sera souligné par la défense.
L’enquête allemande a permis de retrouver 48 grenades de type M26 au domicile d’un certain « Grim », trafiquant de drogue et chez ses acolytes.
Maitre COURTANT PEYRE conteste un passage considéré comme orienté du rapport et qui décrit « un contexte de terrorisme international Palestinien ». Le conseil de la défense relève également que l’enquête fait état de « traces de chaussures américaines » pour lesquelles aucune investigation n’a été menée. Maitre VUILLEMIN, quant à lui, insiste sur les conditions d’un vol effectué dans un stock protégé par un baraquement très fragile. Il souligne également que le nombre de grenade du stock situé en Géorgie (USA) étant indéterminé, le nombre total de grenades perdues est donc indéterminable. Il indique aussi que 24 grenades issues du stock allemand n’ont jamais été retrouvées. Enfin, Me VUILLEMIN décrit un scénario, considéré comme peu probable par le procureur et les parties civiles. Il appuie l’argument de manipulation de son client en suggérant qu’un combattant rompu à l’utilisation de grenades n’aurait pas laissé de « cuillère » sur les lieux et aurait eu le temps de la retirer pour ne laisser aucune trace. Il évoque un témoignage décrivant une grenade « avec son manche » aux pieds du kiosque à tabac. Maitre HUZAN, avocat de parties civiles, conteste fermement un tel scénario. Le procureur, interrogé par M. RAMIREZ SANCHEZ, indique qu’il a manié des grenades dans le cadre de son service militaire et récuse la probabilité d’une telle manœuvre.
Enfin, M. RAMIREZ SANCHEZ prend la parole et explique que les armes utilisées par les membres des cellules révolutionnaires et le FPLP n’étaient jamais directement fournies par « les allemands » mais par l’intermédiaires de Turques, en contrepartie de grande quantité de drogues. Le prévenu indique, au milieu de ses longues digressions, que « la grenade trouvée provenait du RAF » (« Rote Armee Fraktion » est une est une organisation terroriste allemande d’extrême gauche) puis « a été donnée au Fatah ». Un des conseillers du président demande à M. RAMIREZ SANCHEZ de revenir sur cette déclaration et de préciser l’identité de cette grenade. Les propos du prévenu deviennent alors confus, la grenade en question serait tantôt celle de « la rue Amélie » tantôt une des grenades de La Haye.
21 mars - 7ème journée
Le procès devant la Cour d’assises spéciale dans l’affaire du Drugstore Publicis se poursuit aujourd’hui avec l’audition de plusieurs témoins.
Le Président donne d’abord lecture de plusieurs procès-verbaux d’audition de personnes se trouvant à l’extérieur du Drugstore lors de l’explosion. Ces procès-verbaux ont été établis en 1974 dans le prolongement de l’attentat ou à partir de 1998 lors de la réouverture de l’information judiciaire, certaines personnes étant auditionnées lors des deux instructions. Il ressort de l’ensemble des témoignages que, peu avant l’explosion, les témoins ont vu un homme sortir en courant du Drugstore et prendre la fuite en direction du quartier de l’Odéon. La description de cet homme est globalement identique : il s’agirait d’un homme de 25-30 ans, mesure entre 1 mètre 75 et 1 mètre 80 et vêtu d’une veste claire. Cependant, aucune personne ne parvient à reconnaître l’individu sur l’album de photographies présenté par les enquêteurs à partir de 1998.
L’audience se poursuit avec l’audition de Madame Catherine B., témoin des faits. Elle est aujourd’hui âgée de 67 ans. Elle était au restaurant avec son époux, au premier étage du Drugstore au moment de l’explosion. Elle explique qu’elle a vu un homme jeter un objet, qu’elle pensait être une tasse de café par dessus la balustrade du premier étage, vers le rez-de-chaussée de l’établissement. Elle décrit la panique puis la fuite vers l’extérieur après l’explosion. En 1974, lors de son audition, elle explique que l’homme avait les cheveux bruns, qu’il avait environ son âge, soit 25 ans, et qu’il portait un costume gris clair. En 1998 elle identifie l’homme comme étant Illich RAMIREZ SANCHEZ, dit Carlos.
Interrogée ensuite par le Président, elle indique qu’elle savait qui était Carlos lorsqu’elle l’a identifié en 1998 sur l’album photographique présenté par les enquêteurs. Elle précise cependant qu’elle n’avait pas connaissance de l’article publié dans le Figaro où il revendiquait cette attaque et que les photographies de Carlos vues dans la presse n’ont eu aucune influence sur l’identification qu’elle a faite. En tout état de cause, elle affirme qu’en 1998 elle était certaine que c’était Carlos qui avait jeté ce qu’elle croyait être une tasse de café. Elle est aujourd’hui moins affirmative compte tenu des changements physiques de celui-ci, bientôt 43 ans après les faits.
Maître Georges HOLLEAUX, avocat de nombreuses parties civiles, interroge ensuite Catherine B. afin de clarifier certains points, notamment sa position dans le restaurant et son champ de vision lorsqu’elle était assise à table avec son époux. Il permet au témoin de confirmer qu’elle était certaine, en 1998, que Carlos était le lanceur de la grenade et que la presse n’avait aucune influence sur son appréciation.
Le Ministère public questionne ensuite le témoin sur ses lieux de résidence après les faits. Catherine B. indique qu’elle a vécu en AFRIQUE (BÉNIN, MAURITANIE, CÔTE-D’IVOIRE) avec son époux jusqu’en 1989, date à laquelle ils sont revenus définitivement à PARIS. Cela permet d’expliquer un accès à la presse française plus difficile et moins complet. En réponse à une question de l’avocat général elle explique n’avoir subi aucune forme de suggestion ou d’incitation pour identifier Carlos en 1998 de la part des enquêteurs.
Maître Isabelle COUTANT-PEYRE, avocat de la défense, commence par interroger Madame Catherine B. sur son absence de signalement de Carlos aux autorités françaises compétentes lorsqu’elle l’identifie dans la presse comme étant l’auteur de l’attentat du Drugstore. Madame Catherine B. explique qu’elle n’avait pas tout de suite fait le lieur, qu’elle avait d’autres préoccupations et souhaitait oublier ce tragique événement. Le témoin confirme sa certitude quant à l’identification de Carlos en 1998. La défense considère que les liens politiques de Madame Catherine B. poussent celle-ci à accuser Carlos.
Entendu en dernier, Illich RAMIREZ SANCHEZ s’étonne de l’heure à laquelle les époux B. déjeunaient (17 heures), selon lui ce n’était plus l’heure de déjeuner et il s’agit d’une manipulation. Il trouve « curieux » l’absence de signalement aux autorités dès son identification dans la presse.
Lors de son audition, Madame Catherine B. indique que la serveuse avait aussi remarqué un comportement suspect de la part de l’homme qu’elle a cru voir jeter un café. Le Président donne lecture des procès-verbaux des trois serveuses présentent le jour des faits. Aucune ne se souvient de Madame B. ou d’un jet d’objet au-dessus de la balustrade.
L’audition de Monsieur Robert B., époux de Catherine B. était également prévue dans la matinée. Il a cependant fait produire un certificat médical où il est indiqué qu’il ne pouvait pas venir car il était immobilisé. Entendue à son propos, son épouse explique qu’il a également peur que son audition perturbe les débats en raison d’une actualité politique le concernant. La défense s’oppose à ce qu’il ne soit pas entendu. La Cour décide d’entendre Monsieur Rober B. dans des conditions discrètes mais sans huis clos. Son audition est décalée à 18 heures ce jour (cf. infra). L’après-midi débutera avec l’audition d’autres témoins.
Madame Marie-Christine P. est entendue à la reprise de l’audience en début d’après-midi. Aujourd’hui âgée de 70 ans (27 ans au moment des faits), elle était au restaurant du Drugstore au premier étage, avec son époux (décédé en 2000) et son jeune enfant (18 mois). Elle explique à la Cour qu’ils étaient situés au bord de la rotonde mais qu’elle n’a rien vu. Au moment de l’explosion ils sont sortis rapidement et quand elle a vu les blessés graves installés Boulevard Saint-Germain elle s’est évanouie sur le trottoir. Elle a été prise en charge par police-secours, et s’est réveillée alors qu’elle était emmenée à l’Hôpital Cochin. Elle a été légèrement blessée par des éclats de verre à la lèvre et sur la paupière. Elle explique qu’elle pensait que le lustre, situé au milieu de la rotonde, avait éclaté. En 1974 elle avait déclaré avoir vu un objet, de forme ovale, être lancé, sans voir le lanceur. En 1998, lors de sa seconde audition elle n’a plus de souvenir de cet objet. Lorsque vient l’album photographique elle ne parvient pas à identifier l’auteur de l’attaque, mais identifie le visage de Carlos qu’elle a déjà vu dans les médias.
Maître Georges HOLLEAUX demande à Marie-Christine P. de préciser ses blessures et l’avocat général sollicite des précisions sur son positionnement au moment de l’explosion.
Elle explique que pour elle le fait que Carlos soit l’auteur de l’attentat est un élément acquis. Maître COUTANT-PEYRE demande alors d’où vient cette information, Madame P. indique que cela vient des médias. Il est également précisé que le procès est présenté comme étant celui de Illich RAMIREZ SANCHEZ dit Carlos, non comme le procès du Drugstore Publicis Saint-Germain (notamment sur les convocations).
Carlos se contente de critiques envers les associations de victimes, notamment SOS ATTENTAT qu’il considère comme anti-constitutionnelle et qui « détournent des millions d’euros ».
Madame Béatrice M. est ensuite entendue par la Cour. Âgée de 18 ans au moment des faits, elle a aujourd’hui 61 ans. Elle déjeunait au restaurant avec son compagnon au premier étage du Drugstore le jour de l’attentat. Elle était en bas de l’escalier menant aux toilettes situés au deuxième étage de l’établissement. Elle explique qu’elle était dos aux escaliers menant au deuxième étage et qu’elle a été heurtée par quelqu’un et a vu un homme faire le geste de jeter quelque chose. Elle n’a pas été blessée par l’explosion. Le Président donne lecture de son procès-verbal d’audition en 1974, elle y déclare qu’elle a vu un homme d’environ 1m80, de 35-40 ans, de type européen et avec un costume clair, descendre les escaliers juste avant l’explosion. Auditionnée en 1998 elle ne peut pas confirmer cette description et ne voit plus qu’une ombre. Dans les procès-verbaux elle indique qu’elle pensait que l’objet lancé était un pot de moutarde. La défense insiste sur la description qu’elle faisait de l’homme en 1974 : elle décrit un homme âgé de 35 à 40 ans, ce qui n’est pas l’âge de Carlos à cette date.
Après une suspension d’audience, le Président donne lecture de procès-verbaux d’audition de victimes blessées lors de l’attentat, parties civiles ou non, qui ne seront pas entendues (ne souhaitant ou ne pouvant pas être présentes). Monsieur Jean-Claude L. avait indiqué en 1998, que l’homme qui avait jeté l’objet ressemblait à un homme présenté sur l’album photographique, nommé Edgard MARINO MULLER, mais sans la barbe qu’il portait sur la photo présentée. Les procès-verbaux d’audition de deux époux blessés par l’explosion, Madame Dorothée W. et Monsieur Karl V. sont également lus par le Président, ils expliquent avoir vu l’objet lancé lorsqu’il était au sol.
Le procès-verbal de Monsieur Michel R., au rez-de-chaussée du Drugstore au moment des faits, est lu, il ne peut pas pas être présent à l’audience pour des raisons médicales. Lors de son audition en 1999 il pense que Carlos ressemble à l’homme qu’il a vu descendre les escaliers depuis le premier étage peu avant l’explosion.
L’audience se poursuit avec la lecture des procès-verbaux des auditions de Madame Jacqueline G., présente avec son enfant Axel G. à l’épicerie du Drugstore. Sont également lus les procès-verbaux des auditons de Monsieur Jeffrey A., Mesdames Anne G., Jeanine O., Geneviève B., Marie D. et Marie-Françoise F. Le Président poursuivra la lecture d’autres procès-verbaux des auditions des victimes ultérieurement mais précise que cette lecture n’est pas exhaustive.
Maître Georges HOLLEAUX, avocat de nombreuses parties civiles prend la parole pour insister sur les effets des éclats de métal ou de verre qui ont blessé les victimes entendues.
Les avocats de la défense insistent sur l’incitation des victimes à reconnaître Carlos en tant qu’auteur de l’attentat lorsque l’album photographique est présenté en 1998-1999 compte tenu de sa notoriété à cette époque.
À partir de 18 heures, Monsieur Robert B., époux de Madame Catherine B., est finalement entendu par la Cour. Il est aujourd’hui âgé de 71 ans. Il confirme qu’il était présent au premier étage lors de l’explosion, il déjeunait avec sa femme. Quelques instants avant l’explosion, alors qu’ils attendaient le dessert, sa femme lui dit que quelqu’un a jeté un café vers le rez-de-chaussée au-dessus de la balustrade. Il se retourne vers l’homme qu’il voit partir. Il est projeté contre le mur par l’explosion, il n’est pas blessé mais dit qu’un enfant gravement blessé s’est accroché à sa jambe.
Le Président donne lecture de ses auditions en 1974 et en 1999. Dans la première, Monsieur Robert B. dit avoir suivi (du regard) l’homme en bas de l’escalier puis avoir entendu l’explosion. Il décrit un homme d’environ 1m75, de corpulence moyenne, de type européen (« blafard ») avec le visage carré, les cheveux châtains et courts, portant un costume clair et des lunettes de vue. Lors de la seconde audition il reconnaît Carlos sur l’album photographique présenté et dit qu’il est l’auteur du jet de la grenade. Lors de l’audience il reconnaît le faciès de Carlos et se dit encore plus certain qu’il est l’auteur de cet attentat.
Interrogé par le Président, il explique ne pas se rappeler de la revendication de l’attentat par Carlos dans un article publié dans le Figaro, il affirme cependant qu’il a eu connaissance du fait que cet attentat lui a été attribué entre 1974 et 1999. S’agissant de l’absence de dénonciation aux autorités compétentes, il explique qu’il a hésité mais ne l’a pas fait compte tenu du grand choc provoqué par les évènements pour son épouse et lui-même.
Maître Georges HOLLEAUX fait ensuite préciser la chronologie des faits et le portrait de l’homme aperçu par Monsieur Robert B. Il pose la question de l’influence de la notoriété de Carlos sur la reconnaissance dans l’album de photographies, Monsieur B. précise qu’il le reconnaît en raison de ses propres souvenirs et que personne ne l’influence.
L’avocat général l’interroge sur le garçon accroché à sa jambe droite après l’explosion, il demande s’il pourrait le reconnaître aujourd’hui. Monsieur Robert B. n’est pas certain que cela soit possible, il désigne, sans aucune certitude, Monsieur Axel G., présent ce jour à l’audience.
Maître Isabelle COUTANT-PEYRE interroge Monsieur B. sur la la reconnaissance qu’il fait de Carlos dans l’album de photographies et pose des questions sur son parcours et ses relations après l’attentat au cours de sa vie. Elle l’interroge sur son sentiment s’agissant de ce procès, près de 43 ans après les faits, Monsieur B. répond qu’il faudrait que la peine de mort soit rétablie pour certains crimes et que cela ne le choque pas. Maître COUTANT-PEYRE évoque le fait que l’emprisonnement subi par Carlos est une forme de peine de mort. Interrogé sur les différences dans ses auditions en 1974 et 1999 (blafard puis « homme du sud », « brun »), Monsieur Robert B. maintient qu’il s’agit de Carlos.
Maître Francis VUILLEMIN, avocat de la défense, explique qu’il n’y a pas eu de blessés graves, enfants ou adultes, au premier étage, mais Monsieur B. maintient ses déclarations. Il insiste sur les contradictions de ses auditions : la taille de l’homme, la longueur des cheveux, la couleur des cheveux, le type. Il critique ce qu’il appelle une « amnésie inversée », conduisant Monsieur B. à avoir plus de certitudes aujourd’hui qu’en 1974, et s’interroge sur le glissement du portrait vers un homme de type sud-américain. Il conclut en expliquant que ce témoignage est « sur mesure » pour l’accusation, mais sert la défense, ingénu Monsieur B. demande alors quel est le tailleur de ce costume.
22 mars - 8ème journée
Le procès devant la Cour d’assises spéciale dans l’affaire du Drugstore Publicis se poursuit aujourd’hui avec l’audition de Madame Amparo S. M.
Madame Amparo S. M., aujourd’hui âgée de 69 ans, a connu Illich RAMIREZ SANCHEZ en 1974 à PARIS. Elle explique qu’elle a gardé une valise (ou un sac) pour rendre service à ce dernier sans savoir ce qu’il y avait dedans. À l’occasion d’une perquisition à la suite de l’attentat de la rue TOULLIER à PARIS, son domicile dans le 7ème arrondissement de PARIS est perquisitionné et il apparaîtra qu’il contenait des armes. Madame Amparo S. M. explique qu’elle a été en détention provisoire à FLEURY-MÉROGIS pendant six mois, de juillet à décembre 1975. Elle bénéficiera d’une ordonnance de non-lieu en 1981.
Le Président l’interroge sur l’implication de Carlos dans l’attaque du Drugstore en septembre 1974, elle répond qu’elle ne se rappelle plus de tout cela mais affirme n’avoir jamais menti lors des ses différentes auditions.
Le Président donne lecture des procès-verbaux d’auditions de Amparo S. M. en 1999. Au cours de celles-ci, elle indique qu’avec Carlos ils étaient devenus amants en juin 1974 et qu’ils se retrouvaient souvent dans l’appartement de Michel MOUKHARBAL (qu’elle connaissait sous le nom d’André). Il lui avait révélé qu’il était un défenseur de la cause palestinienne en 1974.
Lors de cette même audition, elle explique aux enquêteurs que Carlos lui a dit que c’était son groupe (le FPLP) qui était l’auteur de l’attentat du Drugstore. Il lui a expliqué qu’il était le responsable des opérations terroristes du groupe avec Michel MOULHARBAL et qu’il était aussi responsable des attentats commis à ORLY en 1975. En revanche, il ne lui donné aucun détail sur les faits et les agissements personnels des individus membres du groupe. Selon elle, Carlos n’a jamais reconnu explicitement et directement être l’auteur de l’attentat du Drugstore.
S’agissant de la valise, elle avait expliqué qu’à la fin du mois de juin 1975, Carlos lui avait demandé si elle pouvait prendre deux valises dans son appartement car il devait prendre la fuite après les attentats de la rue TOULLIER. Elle dit qu’elle se doutait que le contenu de celles-ci n’était « pas très catholique » mais qu’elle n’a pas regardé et ne savait pas ce qu’il y avait dans celles-ci. À la suite de la perquisition il sera établi qu’elles contenaient des armes de guerre, des grenades et des documents en très grand nombre.
À l’audience elle explique qu’elle n’a aucun souvenir de ses déclarations et ne peut confirmer, ni infirmer celles-ci aujourd’hui.
Le Président donne lecture des procès-verbaux d’auditions ayant eu lieu en 1975. Au cours de celles-ci, Amparo S. M. explique qu’elle savait que les sacs contenaient des armes, mais qu’elle ne les a jamais ouverts (l’inventaire de l’équipement réalisé à cette date est impressionnant, cela représente environ 40 kilogrammes de matériel). S’agissant de son emploi du temps, elle expliquait être partie en vacances en Espagne en août 1974 et ne pas avoir vu Carlos entre la fin du mois de juillet 1974 et le 12 octobre de la même année (il s’agit d’une fête nationale colombienne, nationalité de Madame Amparo S. M. ce qui lui permet de retenir cette date précise). Lors de ces auditions elle explique que Carlos ne lui a pas parlé du Drugstore mais qu’il a évoqué la prise d’otages à l’ambassade de France à LA HAYE.
À l’audience elle explique qu’elle n’a aucun souvenir de ses déclarations et ne peut confirmer, ni infirmer celles-ci aujourd’hui. Elle précise simplement qu’elle était « plutôt au courant » des activités terroristes de Carlos mais qu’elle était amoureuse et aveuglée à cette époque.
Les conseillers de la Cour d’assises interrogent Madame Amparo S. M. Elle explique que la dernière fois qu’elle a vu Carlos, avant aujourd’hui, c’était le soir de l’attentat de la rue TOULLIER à PARIS. Elle précise qu’elle n’essaye pas de le protéger, ni de se protéger elle. Enfin, elle ne parvient pas expliquer ce qu’il y a eu Drugstore Publicis, elle est incapable de donner la moindre information sur le mode opératoire ou les personnes impliquées.
Maître Constance DEBRÉ, avocat de parties civiles, demande ensuite à Madame Amparo S. M. si elle était sous l’emprise de Carlos, elle répond que cela était le cas. Aujourd’hui elle a peur de la Cour d’assises.
Maître Georges HOLLEAUX, avocat de parties civiles, interroge Madame Amparo S. M. Il l’interroge sur son logement à PARIS à l’époque des faits, elle précise qu’il s’agissait d’un « petit studio ». Les valises ont été retrouvées dans le placard et un faux plafond, les documents dans une commode. Elle dit que Carlos ne lui a pas demandé de ne pas regarder dans la valise (ce qu’elle disait pourtant en 1975). Maître HOLLEAUX insiste sur la sincérité de Amparo S. M. et lui fait dire qu’elle ne dit que ce qu’elle pense et qu’elle n’a jamais menti. Il évoque le fait que lors de son audition le lendemain de la perquisition, elle avait indiqué que Carlos avait « travaillé » avec des terroristes japonais en EUROPE. Au début de l’audience Maître HOLLEAUX avait donné lecture d’un article dans lequel Carlos évoquait une « dette » du FPLP auprès des japonais sacrifiés lors d’un attentat à l’aéroport de LOD à TEL AVIV en 1972. Il donne lecture d’un document dans lequel Amparo S. M. évoque des intimidations de Carlos l’obligeant à se taire si elle ne voulait pas qu’il la tue, lors de leur dernière rencontre le soir de l’attentat de la rue TOULLIER. Amparo S. M. dit ne pas se souvenir de cela.
L’avocat général demande à Amparo S. M. si elle a des problèmes de mémoire, elle répond que cela lui arrive d’oublier certaines choses. Elle confirme qu’elle ne cherche, ni à se protéger, ni à protéger Carlos. Interrogée, elle explique qu’elle sent qu’elle a été manipulée par Carlos.
Maître Isabelle COUTANT-PEYRE interroge Amparo S. M. Elle lui fait confirmer qu’elle n’avait ni avocat, ni interprète lors de sa garde à vue en 1975. Elle demande si elle a vu les objets dans les valises chez elle ou à la DST après la perquisition. Amparo S. M. explique qu’elle n’a pu voir les objets qu’à la DST, Maître COUTANT-PEYRE s’interroge alors sur l’exactitude des objets saisis et se demande s’il n’y a pas ici une manipulation. Elle poursuit en lui demandant de faire état de ses connaissances à propos des armes et des grenades : Amparo S. M. explique ne rien connaître à ces choses-là, Maître COUTANT-PEYRE explique que pourtant elle a formellement reconnu le modèle de grenades en 1999 et qu’elle était très précise à ce sujet. Elle considère qu’il y a une manipulation. Amparo S. M. explique qu’elle signé son procès-verbal d’audition en 1999 à BOGOTA dans le relire, de même pour les fiches des scellés. Elle dit ne pas savoir ce qu’est le FPLP et ne se souvenir de rien aujourd’hui.
À la reprise de l’audience en début d’après-midi, Maître Francis VUILLEMIN interroge Amparo S. M. Il insiste sur le fait que dans ses procès-verbaux d’audition en 1975 elle indique avoir menti au début, mais qu’elle compte désormais dire la vérité : il précise qu’elle se contredit sur ses rencontres avec Carlos en septembre 1974 lors de ses auditions en 1975 et 1999. Il explique à Amparo S. M. qu’elle pourrait presque être poursuivie aujourd’hui car elle savait qu’il y avait des armes chez elle, il rassure celle-ci en lui disant que cela ne sera pas le cas car elle est un témoin à charge. Il évoque une expertise en date du 08 octobre 1975 où elle avait expliqué à l’expert que Carlos lui avait dit que ce n’était pas lui l’auteur de l’attentat au Drugstore.
Carlos prend la parole et détaille sa rencontre avec Amparo S. M.
L’audition de Amparo S. M. s’achève.
La Cour interroge Carlos sur le point de savoir s’il a déposé des armes chez Amparo S. M. Il dit qu’il a peut-être déposé deux sacs d’armes du FPLP. Il explique que les autres armes dans le faux plafond étaient celles de Michel MOUKHARBAL.
Le Président donne lecture, dans le prolongement de l’audience de la veille, de procès-verbaux d’audition de victimes, notamment France V., Claudine T., Yvonne T. Nadia S., Chantal L., Pierina T., Hélène K., Hélène R., Anne-Marie de M., Youssef C, Jeanine B. et Laure D.
L’avocat général donne lecture de deux auditions de femmes sud-américaines en relation avec Carlos lorsqu’il résidait à LONDRES.
Maître Mathilde GOINEAU, collaboratrice de Maître Georges HOLLEAUX, donne lecture de l’article publié dans le journal Al Watan Al Arabi dans lequel Carlo revendique l’attentat du Drugstore et explique que cela était en lien avec la prise d’otages à l’ambassade de France à LA HAYE.
Maître Isabelle COUTANT-PEYRE donne lecture du rapport du gouvernement néerlandais établi le 20 septembre 1974 et rendu public après la prise d’otages de LA HAYE. Elle insiste sur le fait qu’aucun événement à PARIS n’est évoqué et sur le fait que les négociations n’étaient pas un échec même avant l’attaque du Drugstore.
L’audience est suspendue. Elle reprendra demain avec l’audition du psychiatre ayant examiné Carlos et l’interrogatoire récapitulatif.
23 mars - 9ème journée
Le procès devant la Cour d’assises spéciale dans l’affaire du Drugstore Publicis se poursuit aujourd’hui avec l’audition de Monsieur Jean-François WRITT, médecin psychiatre ayant examiné Illich RAMIREZ SANCHEZ le 30 avril 2013.
Il explique que lors de son examen Carlos était en bonne santé physique. Il n’a aucun antécédent psychiatrique, son discours est cohérent et logique. Il ne subit pas de trouble de l’humeur. Interrogé par l’expert lors de son examen, Carlos n’a fait aucun commentaire sur les faits qui lui sont reprochés. Il conclut que Carlos est accessible à une sanction pénale et qu’aucun soin ou traitement n’est nécessaire.
Le Président interroge Monsieur WRITT sur l’influence sur son expertise du délai entre les faits et l’examen médical. Le psychiatre explique que l’examen est complètement possible et que s’il avait des traits marquants de caractère ou des troubles importants ils seraient visibles, même 39 ans après les faits. En réponse à une question du Président, Monsieur WRITT explique que Carlos parle de lui avec une certaine complaisance et une volonté de se valoriser.
L’avocat général s’interroge sur l’aspect ordinaire du portrait de Carlos tel qu’il ressort de l’expertise. L’expert répond que la personnalité de Carlos est « originale » et qu’il parle beaucoup (l’examen a selon lui duré 2 heures 30 ce qui est assez inhabituel). Questionné par l’avocat général, Monsieur WRITT indique que Carlos est capable de s’adapter à son interlocuteur et aux circonstances et qu’il est un bon communicant.
Maître Isabelle COUTANT-PEYRE, avocat de la défense, pose la question de l’influence de la détention de Carlos pendant 19 ans, dont 11 ans à l’isolement total, au moment de l’examen. L’expert explique qu’il a constaté un besoin, et même un plaisir, de parler lorsque Carlos a un interlocuteur.
Maître Francis VUILLEMIN, avocat de la défense interroge l’expert ayant examiné Carlos dans une autre affaire, le docteur Michel DUBEC, qui avait qualifié Carlos de narcissique pathologique après un examen de quelques minutes. L’expert refuse de faire un commentaire sur son confrère mais n’est pas d’accord avec son constat. Maître VUILLEMIN insiste sur le fait que ce médecin a été sanctionne par l’Ordre national des médecins mais qu’il est toujours experts près la Cour de cassation.
L’audition de Monsieur WRITT prend fin avec une déclaration de Carlos, celui-ci explique qu’il a oublié quelque chose : « Je suis fou… fou amoureux ».
L’audience se poursuit à 11 heures avec un interrogatoire récapitulatif de Carlos.
Le Président demande d’abord à Carlos s’il a jeté la grenade dans le Drugstore Publicis. D’abord ironique (« c’est ma mère »), il est rappelé à l’ordre par le Président (« répondez sérieusement Monsieur ») et refuse de répondre en expliquant qu’il n’est pas un « informateur ».
Le Président demande alors s’il aurait pu jeter cette grenade, si cet acte lui semble légitime pour défendre une quelconque cause, malgré le fait que les victimes ne soient pas des soldats ou des responsables politiques. Ici encore, Carlos refuse de répondre directement, il évoque d’autres attentats, d’autres groupes, de fausses accusations, et prédit que des centrales nucléaires vont être attaquées.
L’interrogatoire se poursuit avec une question sur la présence de Carlos à Zurich, Genève et Amsterdam dans les jours précédents le 15 septembre 1974. Le passeport péruvien de Carlos retrouvé au domicile de Amparo S. M. laisse penser que cela est le cas mais Carlos refuse de dire qu’il était présent dans ces villes à ces dates.
Le Président demande à Carlos qui dirigeait le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) en 1974. Il répond que c’était Michel MOUKHARBAL. Le Président lui répond que, selon ses propres déclarations, Michel MOUKHARBAL n’était pas membre de FPLP et se demande si ce groupe « sous-traitait ». Carlos acquiesce et explique qu’ils avaient confiance en Michel MOUKHARBAL. Ce dernier a, selon lui, monté l’opération de la prise d’otages à l’ambassade de FRANCE à LA HAYE mais n’a pas jeté la grenade au Drugstore Publicis.
Le Président donne lecture d’un procès-verbal d’audition de Carlos devant le juge d’instruction, dans lequel il revendique toutes les opérations du FPLP en EUROPE au cours de cette période. Carlos confirme, en levant la voix, il revendique être le responsable opérationnel de toutes les opérations du FPLP en EUROPE.
Avant la suspension de l’audience, le Président demande à Carlos si la grenade jetée au Drugstore appartenait au FPLP. Carlos répond que ce groupe n’a jamais revendiqué cette attaque, il explique aussi que l’Armée Rouge Japonaise (ARJ), qui aurait revendiqué l’attentat, n’existait pas au moment des faits.
À la reprise de l’audience à 14 heures, Maître Isabelle COUTANT-PEYRE, avocat de la défense, verse aux débats un dépôt de plainte pour faux témoignage à l’encontre de Hans Joachim KLEIN. Ce dépôt de plainte avait déjà été évoqué après l’audition en qualité de témoin dans les jours précédents.
L’interrogatoire récapitulatif se poursuit. Carlos ne reconnaît pas que la grenade retrouvée chez Amparo S. M. avait été placée chez elle par ses soins. Il explique qu’il y a des milliers d’armes sorties des camps militaires américains en ALLEMAGNE. Il explique que Michel MOUKHARBAL avait peut-être la clé du domicile de Amparo S. M.
Interrogé sur sa revendication de l’attaque dans le journal Al Watan Al Arabi en 1979, il répond n’avoir jamais donné d’interview à l’auteur de l’article. Il connaissait celui-ci et lui avait parlé, mais, selon lui, le journaliste a inventé des choses pour se faire de l’argent.
Un conseiller demande à Carlos ce qu’il y avait dans la petite boîte confiée à une amie colombienne à LONDRES. Il s’énerve d’abord en considérant que cela n’a aucun rapport avec le Drugstore, avant de dire qu’il ne sait pas ce qu’il y avait dans cette boîte.
Enfin, Carlos reconnaît avoir reçu 2.500 francs en liquide de la part de Michel MOUKHARBAL via Amparo S. M. après des endos successifs d’un chèque.
L’avocat général fait confirmer par Carlos que le journal Al Addaf est le journal du FPLP, avant de lui demander ce qu’il pense du fait que ce journal impute la prise d’otages de l’ambassade de FRANCE à LA HAYE au FPLP. Carlos dit que cela est faux.
L’avocat général demande à Carlos de préciser son rôle dans la guerre en EUROPE. Celui-ci explique qu’il se battait, qu’il était un combattant. Il regrette de na pas avoir tué assez de gens mais admet en avoir tué beaucoup. Il explique qu’il n’a pas le droit de revendiquer personnellement car ceux qui se mettent en avant sont des traitres. L’avocat général met en exergue la contradiction qui consiste à revendiquer politiquement des actions, mais à dire qu’il n’y a pas de preuve lorsque sa responsabilité pénale personnelle est en cause. Carlos répond qu’il ne reconnaît pas le droit pour un pays de l’OTAN de le poursuivre, il considère qu’il est victime d’un acharnement, d’un complot de la part du gouvernement français en coopération avec les Etats-Unis.
Maître Francis VUILLEMIN, avocat de la défense, observe que la seule trace de la revendication par l’Armée Rouge Japonaise de la prise d’otage de l’ambassade de FRANCE à LA HAYE est l’article publié dans le Figaro. Aucun autre journal, aucune agence de presse, aucun journal télévisé, n’évoque cette revendication, en FRANCE et dans le Monde.
24 mars - 10ème journée
Le procès devant la Cour d’assises spéciale dans l’affaire du Drugstore Publicis se poursuit aujourd’hui avec l’audition des parties civiles et les plaidoiries des avocats de celle-ci.
I. L’audition des parties civiles
La première partie civile entendue est Monsieur Rolland D. Aujourd’hui âgé de 78 ans, il avait 35 ans au moment des faits. Il était installé avec son épouse et son fils au café « Les deux magots », situé en face du Drugstore Publicis. Peu avant l’explosion il s’est rendu au bureau de tabac du Drugstore. Il a vu un objet tomber au sol au moment où il récupérait ses cigarettes et sa monnaie. Il a reçu des éclats à la tête et aux pieds. Son épouse l’a retrouvé derrière le comptoir du bureau de tabac et Monsieur Rolland D. a été la dernière personne évacuée par les pompiers. Il est resté dans le coma pendant trois semaines à la Pitié-Salpêtrière. Il a eu des problèmes de vue pendant deux mois et est définitivement sourd d’une oreille. Il déplore le manque de prise en charge des victimes (aucun suivi psychologique…) et se dit dans un état « d’étonnement absolu et complet » s’agissant de la durée de la procédure. Il s’est dit choqué par l’article faisant état d’une revendication publiée à la fin des années 1970 dans le Figaro Magazine.
La défense insiste sur le fait que l’intervention de Monsieur D. dans la procédure, en qualité de partie civile, est orchestrée par les associations de victimes. Carlos dénonce le fait que ces associations récupèrent la moitié de l’indemnisation. En réponse, le Président précise que Monsieur Rolland D. n’a pas été indemnisé et que « la moitié de 0 est égale à 0 ».
La deuxième partie civile entendue est Monsieur Didier O., âgé de 17 ans au moment des faits et de 59 ans aujourd’hui. Il se trouvait avec des amis et son frère au Drugstore, ces derniers sont restés au premier étage mais lui était dans la file d’attente au bureau de tabac du Drugstore. Après l’explosion il a fuit vers le café « Les deux magots ». Il a reçu des éclats aux jambes et à l’œil gauche et est resté hospitalisé huit jours à l’hôpital Cochin. Il souffre depuis cet événement d’agoraphobie. Il explique avoir vu un homme habillé d’un costume foncé et aux cheveux bruns descendre l’escalier peu avant l’explosion et reconnaîtra cet homme comme étant Carlos sur l’album photographique qui lui est présenté en 1999. Il précise qu’il n’a pas reconnu Carlos sur la photo mais simplement celui qui est descendu par les escaliers.
Maître Francis VUILLEMIN rappelle les difficultés déjà évoquées précédemment s’agissant de l’album photographique présenté en 1999. Maître Isabelle COUTANT-PEYRE insiste sur les contradictions dans ses auditions : en 1975 le père de Monsieur Didier O. expliquait que son fils n’avait rien vu du tout, en 1999, Monsieur O. donnait une description d’un homme qu’il a vu descendre les escaliers. Elle considère que la lecture de la presse a pu aider la victime à « se souvenir ».
La troisième audition est celle de Monsieur Axel G., âgé de 9 ans au moment des faits et de 52 ans aujourd’hui. Il était présent au Drugstore Publicis avec sa mère, Madame Jacqueline G. Il a été blessé aux jambes, aux bras, à la tête et au dos et a été hospitalisé six jours. En réponse aux observations précédentes de la défense, il affirme qu’il n’y a eu aucun « racolage » de la part des associations de victimes. Aujourd’hui journaliste, il précise, en réponse aux interrogations de la défense sur l’absence d’archives audiovisuelles que à cette époque l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) n’archivait pas tout. Il explique qu’en sa qualité de journaliste il avait interrogé très brièvement Carlos sur les attentats dans les couloirs du Palais de justice en 1999 à l’occasion de la procédure engagée pour violation du secret de l’instruction à l’encontre du juge Jean-Louis BRUGIÈRE.
L’avocat général confirme qu’il existe quelques rares archives, notamment sur le site Youtube, sur lequel le journal télévisé du 16 septembre, évoquant l’attentat du Drugstore et la prise d’otages de LA HAYE, peut être visionné.
Maître Isabelle COUTANT-PEYRE interroge Monsieur Axel G. sur une éventuelle indemnisation reçue de la part de Marcel BLEUSTEIN-BLANCHET. En effet Monsieur G. évoque celle-ci dans la presse en 2013, mais il répond aujourd’hui que cela ne peut pas vraiment être considéré comme une indemnisation, son montant étant de quelques centaines de francs au maximum et celle-ci ne concernant pas toutes les victimes. Maître Francis VUILLEMIN répond à Monsieur G. s’agissant des archives, il précise qu’il s’étonnait simplement du désintérêt de la DCRI pour les archives de l’INA.
La dernière partie civile auditionnée est Madame Maria Pillar S., âgée de 10 ans au moment des faits et de 53 ans aujourd’hui. Elle était au Drugstore avec sa mère, sa sœur, son frère et un ami. Elle explique le chaos suivant l’explosion à travers ses yeux d’enfants et le fait que, malgré des blessures et des éclats dans le corps, sa sœur, son frère et elle ont fait leur rentrée le lendemain à l’école et sa mère a essayé (en vain) d’aller travailler. Depuis toujours sa mère évoque « El terrorista Carlos » lorsqu’elle parle des faits. Elle précise qu’elle s’est elle-même rapprochée de l’AFVT et qu’il n’y a eu aucun racolage.
Le Président donne ensuite lecture du procès-verbal d’audition de Madame Gisèle G., épouse de Monsieur David G, décédé dans l’attentat. Ils étaient présents avec leur fille, Madame Isabelle G. au Drugstore mais elle explique n’avoir rien vu avant l’explosion.
I. Les plaidoiries des avocats des parties civiles
Maître Georges HOLLEAUX, avocat de nombreuses parties civiles, plaide en premier.
Il commence par insister sur la douleur des victimes qui ont été oubliées (aucun suivi psychologique, aucune indemnisation…). Il évoque ensuite la personnalité de Carlos, qu’il qualifie « d’écrasante » et fait un bref rappel de la biographie de Carlos.
Il cherche ensuite à convaincre du lien entre la prise d’otages à l’ambassade de France à LA HAYE et l’attentat au Drugstore Publicis. Il explique que le point de départ est l’arrestation d’un membre de l’Armée Rouge Japonaise (ARJ) à ORLY. Cette organisation devait le faire libérer et, pour cela, faire pression sur les autorités françaises.
Carlos a expliqué, lors des débats le 16 mars, que, le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) avait « une dette » à l’égard de l’ARJ. En effet cette organisation avait attaqué l’aéroport de LOD à TEL AVIV et deux membres japonais étaient morts. Ainsi, la décision a été prise par le FPLP de soutenir l’action de l’ARJ pour libérer son membre interpellé à ORLY, tout cela n’était pas très organisé et l’opération a été « improvisée » compte tenu du faible temps de préparation.
L’implication du FPLP, et de Carlos, dans la préparation de la prise d’otages de LA HAYE est établie par les déplacements de ce dernier en SUISSE (à ZURICH et GENÈVE) puis à AMSTERDAM où il a rencontré un responsable de l’ARJ en vue de lui remettre les armes qui seront ensuite utilisées.
Cependant, l’opération s’enlise selon les déclarations de Carlos à Hans Joachim K. et à Amparo S. M. Il faut donc appuyer cette opération pour que les négociations aboutissent et que le membre de l’ARJ soit libéré.
La décision est prise de commettre un attentat « à l’algérienne » au Drugstore Publicis. Ce lieu, rare endroit ouvert le dimanche, très fréquenté et permettant un accès simple et une fuite facile, est qualifié par Carlos de lieu « homosexuel et sioniste ». Carlos connaît aussi l’architecture du lieu (notamment la rotonde permettant de jeter une grenade du premier étage vers le rez-de-chaussée), il a expliqué durant l’audience s’y être déjà rendu précédemment.
Carlos est, à cette époque, chef militaire du FPLP, il engage en quelque sorte sa responsabilité en tant que chef, dans la réussite de l’opération de LA HAYE. Il se considère comme le meilleur. L’auteur de l’attentat ne peut être que Carlos. Les témoins donnent de plus tous une description avec des traits caractéristiques similaires qui peuvent correspondre au physique et au style de Carlos à l’époque des faits. Ils expliquent tous réussir à faire la part des choses entre ce qu’ils voient dans la presse et ce qu’ils ont vu au Drugstore, les souvenirs se figent avant un choc aussi violent.
L’attentat du Drugstore est un acte unique, ayant atteint son but, il n’y en a pas eu d’autres dans le même esprit plus tard. Et si la revendication est passée plutôt inaperçue à cette époque, elle existe pourtant selon Hans Joachim K, le journal Al Watan Al Arabi et le Figaro Magazine. L’ambassadeur de France à LA HAYE explique de plus que, le chef des preneurs d’otages l’informe des événements en cours à PARIS le soir même et dit que les choses vont alors bouger, qu’ils attendent.
Tout les éléments permettent donc d’établir un lien entre les deux évènements et les réserves et critiques de la part de la défense ne sont pas convaincantes.
En effet, la critique du témoignage de Hans Joachim K. ou de Amparo S. M. ne sont pas recevables, ils n’avaient pas connaissance du lien entre les événements dans la presse, la seule source d’information ne peut être que Carlos lui-même. Il faut aussi noter que Carlos considère que Monsieur K. est un traitre, pas un menteur. De même les critiques s’agissant de l’article du journal Al Watan Al Arabi sur la forme et le fond ne sont pas convaincantes et il faut noter que l’auteur de l’interview a été tué, il est considéré comme un traitre pour avoir dévoilé des informations secrètes et Carlos avait expliqué que les traitres sont tués.
Maître HOLLEAUX dresse enfin le portrait de Carlos : tueur revendiqué, avec une fausse ambivalence (il a déclaré la veille : « je suis innocent jusqu’à preuve du contraire »), ayant un véritable plaisir jouissif à humilier et un antisémitisme viscéral et revendiqué.
Maître HOLLEAUX donne lecture d’un procès-verbal d’audition d’une victime, enfant au moment des faits, ayant perdu tous les souvenirs de son enfance avant l’attentat. Il conclut en demandant simplement « justice ».
Maître Mathilde GOINEAU, avocat de parties civiles, développe les points relatifs à la grenade utilisée et met en avant le fait qu’il ne fait aucun doute qu’elle faisait partie du lot volé dans un camp militaire américain en ALLEMAGNE. Elle explique également qu’une grenade identique a été retrouvée au domicile de Amparo S. M., cachée là-bas par Carlos.
Maître Constance DEBRÉ, avocat de parties civiles, se pose d’abord la question du sens de ce procès, et explique que cela permet de « raconter ». Elle rappelle que le temps a d’abord affecté les parties civiles mais que celles-ci ne ressentent aucun désir de vengeance. Elle conclut en regrettant la manière qu’a eu Carlos de s’adresser aux victimes.
L’audience est suspendue, elle reprendra lundi 27 avec le réquisitoire de l’avocat général et les plaidoiries des avocats de la défense.
27 mars - 11ème journée
Le procès devant la Cour d’assises spéciale dans l’affaire de l’attentat du Drugstore Publicis se poursuit aujourd’hui avec le réquisitoire du Ministère Public et les plaidoiries des avocats de la défense.
I. Le réquisitoire du Ministère Public
L’avocat général prend la parole est commence par rappeler, en réponse aux doutes émis par Illich RAMIREZ SANCHEZ au cours du procès, que la FRANCE n’est pas un État totalitaire et qu’il n’a reçu aucun ordre. Il n’est pas en mission commandée et n’a aucune directive s’agissant des réquisitions qu’il va formuler.
Il poursuit en évoquant le contexte international à l’époque des faits, en mentionnant, notamment, la guerre de Kippour en octobre 1973. Il explique qu’il est établi que Carlos a des contacts avec le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) depuis la fin des années 1960 lorsqu’il était étudiant en URSS et qu’il commencé à commettre des actions à partir de 1971.
L’avocat général fait un bref rappel de la procédure ayant conduit au renvoi de Carlos devant cette Cour d’assises spécialement composée (information ouverte en 1974, non-lieu en 1983, réouverture de l’information en 1994, nouveau non-lieu en 1999, cassation de l’ordonnance de non-lieu par la Cour de cassation…) et précise que tous les recours possibles ont été effectués, ce qui explique, en partie, la durée de cette procédure, qu’il regrette. En tout état de cause, il explique que la prescription n’est pas acquise et que ce procès a du sens, au nom de la vérité et du respect des victimes.
Le représentant du Parquet marque une nette distinction entre les « actions révolutionnaires » et les crimes en précisant que les actes qui sont reprochés à Carlos relèvent de la seconde catégorie.
Il regrette l’absence de prise de conscience et de regrets de la part de Carlos.
L’avocat général rappelle que la grenade utilisée a été identifiée comme appartenant au même lot que celle retrouvée au domicile de Madame Amparo S. M., relation féminine de Carlos à cette époque.
Il insiste sur la fiabilité et la crédibilité des témoins entendus durant les débats, Hans Joachim K. et Amparo S. M, ainsi que sur celui du chef du commando auteur de la prise d’otages à l’ambassade de FRANCE à LA HAYE.
L’avocat général évoque aussi les revendications. D’abord celle par téléphone, le jour des faits, par une personne se présentant comme un « porte parole de l’Armée Rouge Japonaise » et qui indique que l’attentat commis au Drugstore sert à faire pression pour les négociations en cours à LA HAYE. Enfin, celle de Carlos, interrogé par un ami journaliste travaillant pour le journal Al Watan Al Arabi.
Il se dit convaincu, dans son intime conviction, que Illich RAMIREZ SANCHEZ est coupable des crimes et délits pour lesquels il est poursuivi, à savoir assassinat et tentative d’assassinat, destruction ayant entrainée la mort et port d’arme prohibée de première catégorie.
Il requiert la réclusion criminelle à perpétuité.
II. Les plaidoiries des avocats de la défense
Le premier avocat à prendre la parole est Maître Antoine VAN RIE. Il explique qu’il n’a volontairement pas étudié le dossier avant l’audience et qu’il a simplement assisté à l’intégralité des débats pour plaider avec un regard neuf, laissant le soin à ses confrères de la défense de développer des arguments tirés du dossier.
Il commence par regretter le délai trop long de la procédure et évoque « une justice à retardement ». Il s’attèle ensuite à décrédibiliser le témoignage de Monsieur Robert B., entendu lors des débats, il ironise sur sa capacité à mieux se souvenir de ce qu’il a vu aujourd’hui, qu’en 1975. Il insiste sur le fait que, selon lui, pèse sur Carlos une « présomption de culpabilité ». Il conclut en expliquant qu’une nouvelle peine n’aurait pas d’utilité et que les preuves manquent dans ce dossier.
Maître Isabelle COUTANT-PEYRE prend la parole en deuxième. Elle commence par s’étonner de la rapidité des réquisitions de l’avocat général et lui répond que ce procès est « évidemment politique » et n’a aucun sens judiciaire.
Elle critique sans ménagement les associations de victimes, notamment SOS Attentats et Françoise RUDETZKI, qui se serait quasiment exclusivement occupée des affaires concernant Carlos.
Maître COUTANT-PEYRE évoque les circonstances de l’interpellation de Carlos au SOUDAN en 1994, indiquant qu’il s’agit d’un enlèvement par les services secrets français sur ordre de la CIA. Elle insiste également sur les tentatives d’assassinat subies par Carlos de la part des services secrets français et américains.
Elle rappelle, que le climat politique en FRANCE, au cours des années 1960-1970 n’était pas un climat « de paix », elle évoque notamment les attentats commis par l’OAS jusqu’en 1962 et d’autres actes terroristes commis par d’autres groupes par la suite. Elle explique que, selon elle, il ne faut pas confondre le combat en faveur de la Palestine et le terrorisme.
Elle critique le motif de la cassation de l’ordonnance de non-lieu en expliquant que la Cour s’est appuyée sur l’absence de convocation d’un avocat de SOS Attentats alors que l’association était convoquée ainsi que son premier avocat. Elle compare avec le fait que le motif politique ayant conduit à retenir la connexité pour considérer la prescription comme non acquise n’a pas entrainé de cassation.
Maître COUTANT-PEYRE émet des réserves, qu’elle considère comme sérieuses, sur les témoignages entendus, notamment celui de Hans Joachim K., contre lequel elle rappelle qu’elle a déposé une plainte pour faux témoignage. Elle considère que les témoignages des japonais recueillis ne peuvent pas être utilisés en application du droit japonais applicable. Elle tente aussi de discréditer les témoignages de Monsieur Robert B. (il serait « dans la déconne » selon ses propres déclarations) et de Madame Amparo S. M. qui n’a pas de connaissance dans le domaine des armes et n’a lu ni, son procès-verbal d’audition, ni le procès-verbal de placement sous scellés des armes saisis à son domicile, avant de les signer. Elle insiste sur le fait que celle-ci n’avait pas d’interprète et d’avocat lors de sa garde à vue en 1975.
S’agissant des victimes, elle ironise sur le fait que, jusqu’en 2010, il n’y avait que deux parties civiles et que les autres se sont constituées à la suite d’un racolage de la part des services de police. Elle considère que ces victimes ne cherchent que la vengeance.
Elle conclut en expliquant que le doute doit profiter à l’accusé et, sortant une boîte de bouteille de champagne vide, explique qu’elle payera une bouteille au Président et aux juges de la Cour s’ils prononcent l’acquittement.
Maître Francis VUILLEMIN est le troisième, et dernier, avocat de Carlos, à prendre la parole. Il commence par avancer le fait qu’il n’y a que deux certitudes dans cette affaire : il y a eu un attentat au Drugstore Publicis Saint-Germain le 15 septembre 1974 et une prise d’otages à l’ambassade de FRANCE à LA HAYE du 13 au 15 septembre de la même année. Il explique que le pont fait entre ces deux événement est « virtuel ».
S’agissant des revendications il s’appuie sur un démenti de la part de l’OLP, dont est membre le FPLP, dans lequel ce groupe indique ne pas être à l’origine de la prise d’otages de LA HAYE.
Il rappelle l’enlèvement de Carlos en 1994, son incarcération à l’isolement total n’ayant cessé qu’à la suite d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme et explique que, selon lui, la durée de la procédure est justifiée par le refus de transfert de Carlos vers le VÉNÉZUELA (qui serait possible à l’issue des procédures). Il considère que Carlos fait désormais partie du patrimoine national français, qu’il est un monument national.
Maître VUILLEMIN s’attache ensuite à discréditer l’ensemble des témoignages reçus par les officiers de police judiciaire lors de la première information judiciaire et après sa réouverture. Il insiste sur les contradictions et l’impossibilité d’établir un portrait clair en combinant tous les témoignages. Il rappelle de plus que l’album photographique représente des femmes, des hommes noirs, des hommes poilus et que tout conduit dans cet album à identifier Carlos comme auteur du jet de grenade. Il demande à ce que la Cour ne tienne pas compte des témoignages et des identifications obtenues sur la base de cet album car les témoins seraient influencés par la presse.
Il évoque des incohérences s’agissant de la grenade utilisée et avançant le fait qu’un autre modèle pourrait correspondre aux traces et fragments retrouvés sur les lieux, ce qui impliquerait que la grenade retrouvée chez Madame Amparo S. M. ne permet pas de relier Carlos à l’attentat du Drugstore.
Maître VUILLEMIN explique ensuite pourquoi il considère que les témoignages de Hans Joachim K., de Amparo S. M. et des japonais, sont critiquables.
Enfin, il insiste sur le fait qu’une piste impliquant un homme se faisant surnommer « le furet du Nord », qu’il identifie comme étant peut-être Robert P. n’a pas été suffisamment creusée lors de l’enquête. Il rappelle que cet homme est un antisémite notoire, qui a pris contact avec le PDG du Drugstore quelques jours avant l’attentat par télexs envoyés depuis GENÈVE. Cet homme, résidant à LILLE à l’époque des faits, n’a pas d’alibi solide et son emploi du temps le jour de l’attentat n’est pas incompatible avec un déplacement à PARIS au moment de l’explosion. Il conclut en insistant sur le fait que le doute est permis et doit donc profiter à Illich RAMIREZ SANCHEZ.
L’audience est suspendue, elle reprendra demain avec les derniers mots de Illich RAMIREZ SANCHEZ et le prononcé de l’arrêt de la Cour d’assises après délibéré.
28 mars - 12ème journée
Le procès de Illich RAMIREZ SANCHEZ, dit Carlos, accusé d’être l’auteur de l’attentat commis le 15 septembre 1974 au Drugstore Publicis à PARIS, s’achève ce jour.
I. Les derniers mots de Illich RAMIREZ SANCHEZ dit Carlos
Le Président donne la parole à Illich RAMIREZ SANCHEZ, qui commence par dire que les procès d’assises sont une « habitude de famille » et rappelle qu’il en a lui-même l’habitude, non seulement en raison du fait que ce n’est pas la première fois qu’il est jugé en FRANCE, mais également car il était à la tête de ce qu’il appelle « un tribunal révolutionnaire ».
Il considère que ce procès est absurde, il regrette vivement les refus opposés à ses demandes de confrontations avec des témoins. S’agissant des témoignages, il met en avant le fait que personne ne le reconnaît et que certaines photographies présentées dans l’album comme étant de lui, seraient fausses.
Il raconte sa jeunesse en EUROPE et notamment à PARIS, il explique qu’il n’a pas peur de la mort, mais qu’il aime la vie et qu’il en a eu une plus belle que la grande majorité des personnes.
Carlos se plaint de ses conditions de détention depuis son interpellation, il évoque de petites brimades permanentes et le fait qu’il soit réveillé toutes les 45 minutes lorsqu’il dort (vingt minutes au début selon lui).
Il dit qu’il n’est pas innocent mais répète que ce procès est une absurdité.
Il conclut en s’adressant à la Cour, expliquant que c’est à ses membres de « défendre la FRANCE » et qu’il fera appel en tout état de cause s’il est condamné.
II. L’arrêt de la Cour d’assises spécialement composée
Après avoir rappelé les questions auxquelles la Cour devra répondre le Président suspend la séance et la Cour se retire dans la salle des délibérés.
Les questions sont :
Carlos est-il coupable d’avoir commis deux homicides volontaires ? Si oui, avec ou sans préméditation ?
Carlos est-il coupable d’avoir tenté de commettre plusieurs homicides volontaires ? Si oui, avec ou sans préméditation ?
Carlos est-il coupable de destruction de biens immobiliers et mobiliers par explosif ?
Carlos est-il coupable d’avoir porté et transporté une arme prohibée de catégorie 1, à savoir une grenade à main ?
À 14 heures, la Cour rend son arrêt et répond par l’affirmative aux quatre questions posées. Elle condamne Illich RAMIREZ SANCHEZ à la réclusion criminelle à perpétuité.
Elle ordonne aussi l’inscription de cette condamnation sur le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT).
L’audience pénale est levée.
III. L’audience sur intérêts civils
L’audience sur intérêts civils s’ouvre, elle a pour but de déterminer si les victimes directes et indirectes de l’attentat du Drugstore peuvent obtenir une indemnisation de leurs préjudices.
Tous les avocats des parties civiles déposent leurs conclusions écrites et présentent des observations orales devant la Cour afin d’expliquer l’évaluation des préjudices.
Les avocats de Carlos insistent sur le fait que jusqu’en 2010 il n’y avait que deux parties civiles, et non une trentaine comme aujourd’hui. Ils critiquent ce qu’ils considèrent être comme du racolage de la part des associations (SOS Attentats puis FENVAC et AFVT). Invité à présenter des observations, Carlos considère qu’il s’agit d’une « manipulation grossière » mais évoque essentiellement sa condamnation pénale.
Après un long délibéré, la Cour condamne Illich RAMIREZ SANCHEZ à indemniser les victimes de l’attentat pour lequel il a été condamné. Les montants d’indemnisation varient de 8.000 à 80.000 euros suivant les blessures ou le choc des victimes directes et la proximité avec les victimes décédées pour les proches.
La FENVAC obtient, conformément à sa demande, 1 euro de dommages et intérêts.
L’exécution provisoire de l’arrêt est ordonnée.