Un procès fleuve pour remonter la filière djihadiste de « Cannes-Torcy »

Avant les attentats de 2015, c’était la cellule la plus dangereuse démantelée en France. Un procès de deux mois.

53 jours d’audience jusqu’au 7 juillet, 20 accusés, 80 témoins cités, 14 experts sollicités. C’est un procès de grande ampleur pour une affaire exceptionnelle qui s’ouvre jeudi devant la cour d’assises spéciale de Paris.

Pour les enquêteurs et les magistrats antiterroristes, la filière djihadiste, dite de « Cannes-Torcy », fut en effet, avant les massacres de 2015 et 2016, la plus dangereuse démantelée en France depuis les attentats de 1995. Un sombre réseau que devraient éclairer les débats, qui reviendront sur l’attaque à la grenade contre une épicerie kasher de Sarcelles, en septembre 2012, mais aussi sur des projets d’autres attentats et d’attaques contre des militaires ainsi que plusieurs départs en Syrie. Tous ces faits allant jusqu’à 2014 et même au-delà puisque deux accusés, visés par un mandat d’arrêt, sont soupçonnés de combattre aujourd’hui dans les rangs de l’État islamique (EI).

À l’époque, le passage à l’acte de cette filière, à l’automne 2012, avait confirmé les craintes exprimées par les services de renseignement face à l’enlisement du conflit syrien, à l’émergence de groupes islamistes locaux de plus en plus durs et à l’attrait exercé par eux sur des Français radicalisés.

Durant près de deux mois, la cour d’assises spéciale va donc s’efforcer de mieux comprendre l’origine de cette filière et son fonctionnement. Sur la vingtaine d’accusés, âgés de 23 à 33 ans, originaires pour la plupart d’entre eux de la région parisienne et des Alpes-Maritimes, dix sont toujours en détention provisoire, sept comparaissent libres sous contrôle judiciaire et trois font l’objet d’un mandat d’arrêt. L’un de ces derniers se cache probablement quelque part en Afrique et les deux autres seraient toujours dans la zone syro-irakienne. Leurs profils sont d’une grande diversité, unissant musulmans, bouddhistes convertis à l’islam issus de familles d’origine laotienne, enfants d’une famille congolaise catholique également convertis ou encore fils de bonne famille du XVIe arrondissement tombé dans la délinquance et lui aussi converti.

Leur adhésion à l’islam radical teintée d’un fort antisémitisme, leurs liens d’amitié et la fréquentation de deux mosquées, à Torcy (Seine-et-Marne) et Cannes, les ont rapprochés. Ils ont été fédérés par un homme, grand absent du procès puisqu’il a trouvé la mort il y a plus de quatre ans. Cet admirateur de Mohamed Merah s’appelait Jérémie Louis-Sidney. Il était un « fanatique », pour ses proches, converti à l’islam en 1996 et radicalisé en 2008. Un « chef de meute », selon l’un des accusés. Après la publication des caricatures de Mahomet, il voulait saccager des librairies vendant Charlie Hebdo. Il prenait régulièrement la parole à la mosquée Rahma de Torcy (voir encadré), « appelant à rejoindre la Syrie pour combattre Bachar el- Assad  ». Il affirmait aussi, citant « certaines fatwas », qu’une action armée était « mieux en France  », où il était « plus facile de se procurer de l’argent et des armes ». En somme, frapper dans l’Hexagone avant de partir pour le djihad. Sa mort illustre sa dangerosité. Le 6 octobre 2012, la BRI de Strasbourg se présente à l’appartement qu’il occupe pour l’interpeller. Il tire à trois reprises avant d’être abattu. Trois impacts sont relevés sur le gilet pare-balles d’un policier, juste en dessous du tour de cou, sur son bouclier de protection et sur la visière de son casque, étoilée par le choc.

Si Louis-Sidney est absent du box, Jérémy Bailly, présenté par l’accusation, mais aussi par ses camarades, comme son fidèle lieutenant, est bien présent. Ainsi que des membres très actifs du groupe. Né en 1987 à Sarcelles, Jérémy Bailly, converti, rencontre Jérémie Louis-Sidney à la mosquée de Torcy en 2011. Les deux hommes président à un «  séjour fondateur » dans le sud de la France, unissant, à l’été 2012, les groupes de Torcy et de Cannes. Ces étranges « vacances » seront mises à contribution pour faire des repérages d’un camp militaire, acheter des armes ou fabriquer des explosifs artisanaux.

Au retour, ceux de Torcy passent à l’action. La première cible illustre l’antisémitisme du groupe. L’un des accusés expliquera aux enquêteurs : « Depuis tout petit, on a la haine des Juifs, c’est l’ennemi. » Le 19 septembre 2012, deux hommes, pour l’accusation Louis-Sidney et Bailly convoyés par Kevin Phan, un autre homme de la filière, jettent une grenade défensive dans un magasin kasher de Sarcelles. Par miracle, seul un client est blessé, la présence de chariots ayant amorti le choc et empêché les éclats de trop se disperser. L’empreinte de Louis-Sidney est retrouvée sur la cuillère de la grenade. Le 6 octobre 2012, une vague d’interpellations démantèle la filière. Des armes, des munitions et des éléments pour confectionner des bombes sont retrouvés dans un box de Torcy, indiquant que d’autres attentats étaient imminents. À noter que Bailly est interpellé armé et en possession d’une liste manuscrite d’associations et de personnalités juives. La filière de Cannes-Torcy n’a pas alors pas encore fini de faire parler d’elle. Trois membres du groupe « cannois  » sont interpellés en juin 2013 avant une attaque projetée contre une caserne. Un pistolet-mitrailleur sera retrouvé un peu plus tard. D’autres membres de la branche « cannoise », partis en Syrie en 2012, sont interpellés en 2014 à leur retour en Europe. Ils sont accusés, comme Ibrahim Boudina, interpellé en possession d’explosifs, d’avoir préparé un attentat en France. Enfin, les deux accusés probablement restés dans la zone syro-irakienne sont soupçonnés de combattre au sein de l’EI. Après y avoir acquis une expérience redoutable dans l’hypothèse d’un retour en France.

Source : Le Figaro
Auteur : Jean Chichizola
Date : 20 avril 2017

Chronoexpress

19 SEPTEMBRE 2012 : Attaque à la grenade contre une épicerie kasher de Sarcelles (Val- d’Oise). Un blessé.

6 OCTOBRE 2012 : Jérémie Louis-Sidney, un des auteurs présumés de l’attaque, est abattu à Strasbourg par les policiers qui venaient l’arrêter, et sur lesquels il avait ouvert le feu.

JUIN 2013 : Des « Cannois » du groupe, dont le Tunisien Maher Oujani, sont arrêtés alors qu’ils envisagent une attaque imminente contre une caserne.

Source : Le Figaro
Auteur : Jean-Baptiste Isaac
Date : 20 avril 2017

Crédit photos : Source : Le Figaro Auteur : Jean Chichizola Date : 20 avril 2017

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